Taxe dâhabitation : encore un cadeau aux riches ! | Alternatives Economiques
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La promesse de campagne dâEmmanuel Macron dâexonĂ©rer de taxe dâhabitation 80 % de la population est considĂ©rĂ©e comme une de ses annonces les plus populaires, ayant contribuĂ© Ă sa victoire Ă©lectorale de 2017. Câest un choix budgĂ©taire important, reprĂ©sentant une baisse dâimpĂŽt de 10 milliards dâeuros, pour une dĂ©pense moyenne de 650 ⏠par an et par mĂ©nage. Cette mesure, qui commence Ă ĂȘtre mise en Ćuvre progressivement sur trois annĂ©es, est rĂ©guliĂšrement prĂ©sentĂ©e par la majoritĂ© comme une avancĂ©e sociale de nature Ă contrebalancer les avantages fiscaux importants octroyĂ©s aux plus riches. Tout semble pourtant indiquer le contraire.
9 milliards pour les mieux lotis
Il faut rappeler que les plus pauvres ne payaient pas ou peu de taxe dâhabitation : les dĂ©grĂšvements, exonĂ©rations et plafonnements sâĂ©levaient dĂ©jĂ Ă 5 milliards. Pour eux, donc, rien ne change, ou presque. Surtout, le prĂ©sident a fini par dĂ©cider rĂ©cemment de supprimer la taxe dâhabitation sur toutes les rĂ©sidences principales, y compris celles des 20 % des mĂ©nages les plus aisĂ©s. Concentrer lâimpĂŽt sur ces seuls mĂ©nages Ă©tait en effet trĂšs contestable juridiquement. Mais avec cet Ă©largissement, la mesure change totalement de nature. Aux 10 milliards de baisses de recettes initialement prĂ©vues, il en ajoute prĂšs de 9 milliards, doublant quasiment le coĂ»t de la promesse Ă©lectorale.
LâĂ©largissement aux mĂ©nages les plus aisĂ©s de la taxe dâhabitation est, de loin, le plus gros cadeau fiscal aux plus riches du dĂ©but de quinquennat Twitter
On apprend ainsi en passant que les 20 % les plus riches payaient presque autant que les 80 % les plus pauvres. Chacun de ces mĂ©nages aisĂ©s bĂ©nĂ©ficiera donc en moyenne 4 fois plus de cette mesure que les 80 % de mĂ©nages moins favorisĂ©s. Ce chiffre relativise les critiques pour le moins caricaturales de la taxe dâhabitation, parfois prĂ©sentĂ©e comme une taxe sur les pauvres.
AprĂšs la suppression de lâImpĂŽt sur la Fortune (3,5 milliards dâeuros/an), de la taxe sur les dividendes (1,8 milliard dâeuros) et la flat tax sur les revenus du capital (1,3 milliard dâeuros), lâĂ©largissement aux mĂ©nages les plus aisĂ©s de la taxe dâhabitation devient donc, et de loin, le plus gros cadeau fiscal aux plus riches du dĂ©but de quinquennat.
Qui va payer ?
La taxe dâhabitation avait bien des dĂ©fauts. Mais elle avait le mĂ©rite dâexister et de procurer 18 milliards dâeuros de recettes publiques, payĂ©es plutĂŽt par les plus aisĂ©s. Toute la question est de savoir comment sera financĂ©e cette baisse dâimpĂŽt massive de prĂšs de 20 milliards dâeuros, qui permettait jusquâici dâabonder le budget des communes et intercommunalitĂ©s. LâĂtat sâest engagĂ© Ă compenser Ă lâeuro prĂšs auprĂšs des collectivitĂ©s. Le doute est permis Ă la lumiĂšre des expĂ©riences passĂ©es. LâĂtat sâest en effet rĂ©vĂ©lĂ© la plupart du temps un bien mauvais payeur auprĂšs de collectivitĂ©s locales, dont les compĂ©tences accrues nâont pas Ă©tĂ© compensĂ©es par des transferts de ressources Ă la hauteur.
LâĂtat sâest engagĂ© Ă compenser Ă lâeuro prĂšs auprĂšs des collectivitĂ©s. Le doute est permis Ă la lumiĂšre des expĂ©riences passĂ©es. Twitter
Admettons que lâĂtat compense effectivement Ă lâeuro prĂšs : quelles en seraient les consĂ©quences ? Le rapport Alain Richard / Dominique Bur a proposĂ© quelques pistes : il sâagirait essentiellement de transfĂ©rer au bloc communal les recettes de la taxe fonciĂšre, jusque-lĂ perçues par les dĂ©partements. Ces derniers, de leur cĂŽtĂ©, pourraient percevoir une fraction dâimpĂŽt national. Cependant le rapport ne dit pas comment lâĂtat financera Ă son tour cette somme dĂ©mesurĂ©e.
La promesse du gouvernement est de financer ce trou de 20 milliards par des baisses de dĂ©penses publiques. La moitiĂ© de cette somme est dĂ©jĂ intĂ©grĂ©e dans lâengagement de la majoritĂ© de rĂ©duire en un quinquennat la voilure publique de 100 milliards. On peut lĂ encore douter de la capacitĂ© de lâĂtat Ă rĂ©duire ses dĂ©penses dans ces proportions inĂ©dites. Mais on peut surtout sâinterroger sur la pertinence dâun tel objectif.
Les prestations sociales dans le viseur
Pour atteindre les 100 milliards de baisse des dĂ©penses publiques, et y ajouter les 9 milliards supplĂ©mentaires liĂ©es Ă la suppression de la taxe dâhabitation des plus aisĂ©s, la rĂ©duction du train de vie de lâEtat ne suffira pas, pas plus que les « synergies » et simplifications de tel ou tel dispositif. Cette politique touchera nĂ©cessairement les prestations sociales avec des consĂ©quences immĂ©diates, comme lâont montrĂ© les premiĂšres mesures du quinquennat. Les coupes dans les aides au logement (APL), prĂ©vues Ă hauteur de 3 milliards dâeuros par an, ont par exemple des rĂ©percussions directes sur les allocataires modestes et sur les bailleurs sociaux, appelĂ©s Ă compenser une partie des coupes.
Cette politique dâaustĂ©ritĂ© prend aussi la forme de baisse des emplois aidĂ©s, de dotations budgĂ©taires des collectivitĂ©s au point mort, de restrictions dans le traitement des fonctionnaires, de moyens en berne pour les services publics essentiels comme lâhĂŽpital, lâenseignement supĂ©rieur ou la petite enfance. Elle empĂȘche Ă©galement de mener des politiques Ă la hauteur des enjeux pour financer la rĂ©novation urbaine, lâĂ©radication des passoires Ă©nergĂ©tiques dans le logement, la prĂ©vention des expulsions locatives ou encore la mise en Ćuvre dâune vraie politique de rĂ©sorption du sans-abrisme et des bidonvilles.
« Expliquer que lâon va rĂ©duire la dĂ©pense publique sans rien toucher aux aides sociales ne serait pas cohĂ©rent, ni juste et lucide vis-Ă -vis des Français », a dâailleurs confirmĂ© la semaine derniĂšre le ministre de lâEconomie Bruno Lemaire. Les premiĂšres pistes avancĂ©es par la direction du Budget sont Ă cet Ă©gard trĂšs inquiĂ©tantes, puisquâil sâagirait de rogner les prestations des plus pauvres : dĂ©sindexation des prestations par rapport Ă lâinflation, durcissement des critĂšres dâĂ©ligibilitĂ© Ă lâAllocation Adulte HandicapĂ© (AAH), prise en compte des minima sociaux pour le calcul des allocations logement. Cette derniĂšre piste, dâapparence technique, aurait de trĂšs graves consĂ©quences puisquâelle Ă©quivaudrait Ă une baisse de 100 Ă 200 ⏠dâAPL par mois pour les bĂ©nĂ©ficiaires de prestations telles que le RSA, lâAAH ou le minimum vieillesse. Rien ne dit que ces pistes seront effectivement mises en Ćuvre in fine, mais ces hypothĂšses sont manifestement Ă lâĂ©tude.
Taxer la rente fonciĂšre
Bref, mĂȘme si la taxe dâhabitation est un impĂŽt au final plus proportionnel que progressif, elle prĂ©lĂšve tout de mĂȘme (beaucoup) plus aux riches quâaux pauvres. La rĂ©former, voire la remplacer par un impĂŽt plus juste, Ă©tait donc nĂ©cessaire. Mais le financement de sa suppression pure et simple par une baisse des dĂ©penses publiques, et en particulier des prestations sociales qui profitent davantage aux pauvres quâaux riches, est profondĂ©ment injuste. Comme souvent, au nom dâun supposĂ© « ras-le-bol fiscal », on a instrumentalisĂ© le ressentiment des classes moyennes pour leur faire de petits cadeaux fiscaux, qui eux-mĂȘmes finissent par justifier dâimmenses cadeaux fiscaux aux plus riches.
Il y avait pourtant vraiment matiĂšre Ă une vraie rĂ©forme de la taxe dâhabitation, en prenant en compte le revenu des mĂ©nages et en rĂ©visant les valeurs locatives cadastrales sur laquelle elle est assise depuis 1970. Cette rĂ©vision est sensible politiquement. Mais elle est indispensable et possible, comme lâa montrĂ© au cours du prĂ©cĂ©dent quinquennat la rĂ©vision des valeurs locatives des locaux commerciaux et lâexpĂ©rimentation de rĂ©vision des valeurs des locaux dâhabitation. En effet, il est fondamental que lâinflation des prix de lâimmobilier soit ponctionnĂ©e pour financer les politiques du logement. La hausse des prix depuis 2000 a provoquĂ© des enrichissements sans cause prodigieux pour les mĂ©nages qui avaient eu la chance dâacheter, dâinvestir ou dâhĂ©riter au bon moment. Certains ont vu leur patrimoine doubler ou tripler sans effort. Il est donc juste et nĂ©cessaire de prĂ©lever, via la taxe fonciĂšre, la taxe dâhabitation, les droits de mutation ou de succession ou encore la taxe sur les plus-values, une partie de cette rente pour financer des politiques publiques volontaristes.
Celles-ci sont en effet de plus en plus indispensables (justement en raison de cette tension sur les prix), pour loger les demandeurs de logement social Ă©vincĂ©s du marchĂ© par exemple, et de plus en plus onĂ©reuses, car il faut aider les mĂ©nages modestes Ă payer leurs loyers Ă©levĂ©s et produire des logements sur un foncier plus cher. Bref, lâEtat et les collectivitĂ©s ont besoin de rĂ©guler les marchĂ©s immobiliers mais aussi de moyens financiers pour agir et compenser les dĂ©faillances du marchĂ© pour les mĂ©nages Ă bas revenus, grands perdants de la hausse des prix des deux derniĂšres dĂ©cennies.