• « Je m’en vais lire en refilmant »

    Conversation avec Martine Rousset, cinéaste « cabane »

    Par Nicolas Rey

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    Pour Chemins , ça s’est passé exactement de la même façon. Ce chemin-là, c’est un chemin d’enfance, ici aux Aresquiers, près des rives de l’étang de Vic : je peux le faire en vélo, à pied, je le connais par cœur, je peux t’y amener les yeux bandés. Et sur le tard, j’ai lu ce texte de Julien Gracq que je ne connaissais pas, qui date des années 1970. Un des seuls textes qu’il n’a pas fini. Je l’ai lu à Paris, puis l’été en revenant ici, je me balade aux Aresquiers et me dis : « C’est là ! c’est là ! » Bien évidemment, c’est en Italie que ça se passe, une guerre ancienne, tu ne sais pas, mais en même temps, c’est là.

    Le cinéma peut essayer de voir ce que veux dire ce : « C’est là ». Quelle est la racine commune ? Est-ce que ce paysage précède ce texte, est-ce que ce texte existe parce que ce paysage existe dans le monde ? Comment ça se rencontre, comment passe le texte dans le paysage, comment le paysage passe dans ce texte ? C’est fragile, ça, ce n’est pas là pour imposer des certitudes ou des analyses. D’où les parties en noir & blanc dans le film, qui sont comme des images qui sont passées par le texte, revenantes. J’ai juste envie d’aller dans certains lieux avec la caméra, un micro, le Sony Pro, filmer avec une certaine lumière et attendre qu’il se passe quelque chose.

    Il faut être très contemplatif, y aller tout le temps, et ça peut véritablement prendre dix ans : il faut attendre, devenir la montagne pour peindre la montagne, disaient les vieux Chinois. La peinture chinoise de la fin du XVIIe m’apprend beaucoup : Zhu Da, Shitao, avec ses Propos sur la peinture du moine Concombre-amer… Le moine Concombre-amer, c’est Shitao lui-même qui était un brin ermite et de très mauvais caractère, et ça dit déjà tout du cinéma.