Il convient de rappeler la trajectoire du général Berzine. Il fut à l’origine de la constitution du groupe des « maitres-espions » auquel Trepper, Sorge, Radô mais aussi Moshe Milstein, Rolf et Ruth Werner, Walter Krivitsky, Manfred Stern et Willi Lehmann appartenaient. Mais, et ceci est peut-être plus intéressant, Berzine, qui avait été directeur du GRU (ou de ce qui en tenait lieu) de 1924 à 1935, fut envoyé en Espagne dès juillet 1936. Sous le pseudonyme de « général Grishin », il commanda le premier corps expéditionnaire russe et réorganisa les forces républicaines. Il fut à l’origine de la nomination du Général Miaja, un vieux général populaire aux yeux des Espagnols. Il galvanisa et organisa la défense de Madrid par les Brigades internationales et par l’Armée Républicaine espagnole, stoppant l’avance jusque-là inexorable et rapide des franquistes. Il rédigea au printemps 1937 un rapport pour le Kremlin où il dénonçait le massacre des anarchistes et des militants du POUM par Alexandre Orlov et les hommes du NKVD, indiquant que ce massacre injustifié et inutile privait la République de nombreux combattants valeureux, démoralisait les troupes, et servait les franquistes. Ce rapport déclencha une violente controverse et Vorochilov, qui se sentait visé, encourut les reproches de Staline. Rentré à Moscou à la fin du printemps 1937, il fut rétabli dans son poste de directeur du GRU. Mais Vorochilov, qui soutenait Orlov et le NKVD, intrigua pour que Berzine soit arrêté par le NKVD à l’automne 1937. Accusé de trotskisme et de trahison au profit du IIIe Reich, il fut condamné à mort le 29 juillet 1938 et exécuté le jour même. La désignation par Berzine de Trepper, Sorge et Radô dans les premiers jours de l’automne 1937 peut ainsi être considérée comme le « testament » de celui qui fut l’un des plus grands responsables du renseignement soviétique[15]. La personnalité de Berzine reste mal connue hors des cercles spécialisés[16], mais il est clair que sa loyauté était double : à l’Union soviétique (et non à Staline….) et à l’idéal communiste qu’il avait embrassé très tôt dans sa jeunesse.