• BALLAST | Guerre d’Espagne : la parole aux femmes
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    Se pencher sur le vécu des femmes, de tout temps et en tout lieu, c’est se confronter à une absence criante de sources, à des silences lourds de signification. Mais les femmes ne sont pas les seules concernées. Toutes les populations considérées par ceux détenant le pouvoir comme étant « subalternes » — les serfs, les esclaves et les femmes, donc — n’apparaissent pas dans les documents officiels, qui ont longtemps été les sources privilégiées pour écrire l’Histoire. Cette invisibilisation des femmes s’explique en partie par une écriture genrée des événements. Les archives sont majoritairement masculines, c’est-à-dire produites par des hommes, sur des hommes et conservées puis analysées par des hommes. La question d’une Histoire toujours racontée au masculin relève bien évidemment du fait que ce sont les hommes qui ont toujours eu la parole. Redonner cette parole aux femmes, a posteriori, est donc un réel défi.

    Que disent les récits historiques sur l’Espagne révolutionnaire de la capacité des femmes à mobiliser la violence dans le cadre de luttes politiques et sociales ?

    « Moins on raconte les actions des femmes, leurs modalités de mobilisation, moins le champ des possibles est étendu pour les générations suivantes. »

    Le processus d’écriture genrée des faits contribue à dénier aux femmes toute capacité d’action politique. Leur absence des sources est aussi due à un refus des scribes de l’Histoire de prendre en considération leurs possibles engagements au sein des luttes, qui plus est lorsque ces dernières sont violentes. On peut alors parler dans ces cas-là de violence « hors-cadre », pour citer Erving Goffman, c’est-à-dire d’une violence qui est déniée, non-reconnue, et n’est donc pas renseignée. Car les femmes sont le plus souvent considérées au sein de la société comme de potentielles victimes de violence : elles ne seraient pas elles-mêmes en mesure d’y avoir recours. Il y a donc un « non-récit » de ces actions violentes puisqu’elles viennent rompre le cadre normatif et patriarcal dans lequel la société a l’habitude de voir les femmes évoluer. L’ouvrage de deux sociologues, Coline Cardi et Geneviève Pruvost, Penser la violence des femmes, aborde très bien ce phénomène de refoulement, d’invisibilisation de la violence au féminin. L’expérience des miliciennes espagnoles (et d’autres nationalités) sur le front pendant la guerre d’Espagne est un bon exemple de la possibilité pour les femmes d’avoir recours à la violence mais aussi de la permanence d’une reprise en main masculine et autoritaire. Ces images de miliciennes armées ont marqué les consciences car elles laissaient entendre une possible subversion des rôles traditionnels au sein de la société espagnole.