• Source : Annie Machon, Consortium News, 11-06-2018

      La nouvelle initiative antiterroriste de la Grande-Bretagne s’appuie sur des méthodes semblables à celles de la Stasi pour offrir un cadeau potentiellement orwellien pour les citoyens britanniques, comme l’explique Annie Machon, ancienne officier du MI-5.

      Le ministre britannique de l’Intérieur, Sajid Javid, a dévoilé la semaine dernière une nouvelle initiative de lutte contre le terrorisme qui, selon lui, cible une menace toujours plus grande, mais qui soulève une foule de nouvelles questions sur les droits de la population.

      Le gouvernement agit car il pense nécessaire de faire quelque chose. Mais, depuis le début de la « guerre contre le terrorisme », le MI5 – officiellement connu sous le nom de Service de Sécurité Intérieure britannique et organisation qui dirige la lutte contre le terrorisme au Royaume-Uni – a déjà vu sa taille doubler et s’est vu promettre encore plus de personnel pour les deux prochaines années.

      Pourtant, malgré cet accroissement des ressources du MI5, et plus généralement des financements et des pouvoirs de surveillance de la communauté du renseignement britannique, pratiquement tous les attentats terroristes perpétrés au Royaume-Uni au cours des dernières années ont été commis par des individus déjà connus par les autorités. En effet, le kamikaze de Manchester, Salman Abedi, avait fait l’objet d’une enquête approfondie, mais le MI5 a ignoré des renseignements essentiels et a clos l’enquête peu de temps avant l’attaque.

      Cette incapacité à cibler les menaces connues n’est pas seulement un problème du Royaume-Uni. Au cours des dernières années, des attaques dans toute l’Europe ont été perpétrées à plusieurs reprises par des personnes qui se trouvaient déjà sur le radar de la sécurité locale.
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      Les principaux points du nouveau plan du ministère de l’Intérieur sont les suivants : faire en sorte que le MI5 partage des renseignements sur 20 000 « sujets préoccupants » avec l’aide d’un large éventail d’organisations, notamment les conseils municipaux, les entreprises, la police locale, les travailleurs sociaux et les enseignants ; faire appel aux sociétés Internet pour détecter et éliminer les contenus extrémistes ou suspects ; faire en sorte que les commerces en ligne comme Amazon et eBay signalent les achats suspects ; accroître la surveillance des infrastructures et des grands événements ; adopter des lois antiterroristes encore plus strictes.

      Cela semble sensé jusqu’à ce qu’on réalise à quel point des initiatives similaires ont échoué et combien ce nouveau plan augmente les risques d’abus massif des pouvoirs de surveillance.

      Les renseignements ne sont pas des preuves

      La partie la plus inquiétante du plan du MI5 est le partage de renseignements sur 20 000 « sujets de préoccupation ». Tout d’abord, il s’agit de renseignements – par nature recueillis à partir d’une gamme de sources secrètes que le MI5 souhaite normalement protéger. Lorsqu’ils communiquent avec la police antiterroriste, les services de renseignement protègent normalement l’anonymat de la source, mais cela exige une énorme quantité de travail pour 20 000 cas, avant que l’information puisse être partagée. Deuxièmement, les renseignements ne sont pas des preuves. En effet, le MI5 diffusera très largement des soupçons partiellement validés, peut-être même des rumeurs, au sujet d’individus qui ne peuvent pas être accusés d’un crime uniquement sur la base des renseignements, mais qui feront néanmoins l’objet de graves soupçons au sein de leurs communautés.

      De plus, si ces renseignements sont diffusés aussi largement qu’on le suggère actuellement, ils seront transmis à des milliers d’organismes publics – par exemple, les écoles, les municipalités, les organismes de protection sociale et la police locale. De multiples problèmes pourraient en découler. Il ne fait aucun doute qu’il y aura des fuites et des commérages au sein des collectivités sur Untel ou Unetelle qui est surveillé par le MI5, et ainsi de suite.

      Il y aura aussi l’inévitable détournement de mission et l’abus de pouvoir que nous avons vu, il y a près de 20 ans, lorsque toute une série de ces mêmes organismes publics ont eu accès à la nouvelle loi sur l’écoute et la surveillance, la Loi sur la réglementation des pouvoirs d’enquête (2000). À l’époque, les conseils locaux abusaient de la législation antiterroriste pour attraper les gens susceptibles d’acquérir des résidences secondaires dans les parties les plus courues de la carte scolaire (districts) afin de scolariser leurs enfants dans les meilleurs établissements, ou même, et ce n’est pas une blague, de voler des coquillages sur leur plage locale. Bien sûr, ces pouvoirs de surveillance électronique intrusive ont été considérablement accrus depuis lors, avec la Loi de 2017 sur les pouvoirs d’enquête, qui permet le stockage en masse, le piratage de jeux de données massifs entiers et le piratage proprement dit.

      Tout cela fait suite au fameux programme PREVENT de lutte contre le terrorisme du ministère de l’Intérieur – le prédécesseur raté de ces nouvelles propositions.
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      Les alliés du secteur privé

      Autant dire que si le gouvernement britannique ne peut même pas faire payer leur juste part d’impôts aux titans d’Internet comme Google et Facebook, ni demander à Mark Zuckerberg de Facebook de rendre compte devant le Parlement du scandale de Cambridge Analytica, alors il y a peu de chances qu’il les force à faire un effort significatif pour éradiquer les contenus extrémistes.

      Mais même s’ils sont d’accord, l’idée est plombée par la question gênante de savoir qui décide si quelque contenu est extrémiste, ou s’il exprime une opinion dissidente contre l’establishment ? Facebook, Google et YouTube s’engagent déjà dans ce qu’on est en droit appeler la censure en déréférençant, dans les résultats de recherche, les sites Web dissidents légitimes qu’ils considèrent, sans antécédents en matière d’évaluation des nouvelles, comme sites de « fausses nouvelles ». De tels sites de nouvelles reconnus tels que Wikileaks, Consortium News et le World Socialist Web Site, ainsi que de nombreux autres figurant sur la liste notoire et peu fiable de PropOrNot, ont fortement touchées depuis que ces restrictions sont entrées en vigueur le 23 avril 2017.

      Amazon, eBay et d’autres entreprises de vente au détail sont invitées à signaler les ventes suspectes de matériaux précurseurs de bombes et d’autres armes potentielles. Les sociétés de location de voitures seront invitées à signaler les personnes suspectes qui louent des voitures et des camions. Des algorithmes pour détecter les achats d’armes peuvent être réalisables, mais refuser de louer à de simples individus « suspects » qui n’ont commis aucun crime s’aventure sur le terrain de la Stasi (Police politique de l’ex Allemagne de L’est : NdT).
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