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Académie ESJ, et cacadémie esj

  • Le train des illusions John R. MacArthur - 6 Aout 2018 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/533911/le-train-des-illusions
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    je suis parti à destination du Var. Conscient, grâce au reportage du Monde diplomatique, que les villes moyennes souffrent d’une réduction de service ferroviaire qui favorise le TGV (en prenant des trains TER, j’aurais mis plus de quatre heures pour aller d’Autun à Lyon, avec deux correspondances), j’ai fini par me faire conduire en voiture à Lyon afin de prendre le TGV vers Marseille et Toulon. Tout s’est passé tranquillement dans mon wagon, la seule ombre étant que le Breton d’en face trouvait qu’un journaliste du Télégramme avait surestimé la performance du Mâconnais Antoine Griezmann.

    Cependant, à l’arrivée à Marseille, le TGV a ralenti subitement sans atteindre la voie de la gare. « Mesure de sécurité », a annoncé le conducteur. Là, le temps pour attraper ma correspondance à destination de Toulon — soit le TGV 6177, départ à 17 h 31 — s’est écoulé sans explication supplémentaire. Enfin débarqué, je me suis précipité pour trouver la pancarte des départs, mais nulle part n’était affiché le TGV 6177. Dans la billetterie surchargée, on m’a dirigé au pas de course vers une voie lointaine, où je me suis retrouvé devant un TER à destination de Toulon, bondé comme un convoi de réfugiés. « Faut aller trouver le TGV, Monsieur », m’a dit le conducteur. J’ai juré qu’il n’y en avait pas et le type, par pitié, m’a indiqué une petite ouverture dans le mur humain qui bloquait l’entrée du wagon le plus proche.

    J’ai foncé et je me suis retrouvé le dos plaqué contre la porte des toilettes. Décidément, la « solidarité » française s’affichait moins solidaire que le jour précédent. Une dame d’un certain âge, coincée entre enfants pleurants et adultes épuisés, a profité du chaos pour décharger sa colère contre les grévistes de la SNCF, les politiciens, et surtout la nouvelle génération des jeunes, dont plusieurs adolescentes qui n’avaient pas cédé leur siège : « Je ne l’aurais pas accepté, mais c’est le principe. » Elle ne m’a pas épargné son mépris : « Vous auriez dû prendre le TGV, a-t-elle constaté avec un sourire amer. Il y a 10 arrêts avant Toulon. » En effet, j’allais perdre une bonne demi-heure par rapport au TGV (retardé, j’ai appris plus tard, par des orages violents, qui avaient fait tomber un arbre sur une caténaire à l’est de Toulon).

    En route, le calme et la politesse se sont doucement rétablis, quoiqu’avec une atmosphère de résignation. Une fois assis, enfin, j’ai demandé à la passagère d’à côté pourquoi on ne bougeait pas de la gare d’Aubagne. « Normalement, c’est ici qu’on permet au TGV de dépasser le TER », m’a-t-elle expliqué. En effet, après un quart d’heure d’attente, un TGV, peut-être celui que j’avais manqué, nous a dépassés avec un énorme fracas sur une autre voie. Ma concitoyenne, habituée à une France littéralement à deux vitesses, à deux niveaux économiques, m’avait présenté la métaphore parfaite pour un pays qui reste dominé par Emmanuel Macron, malgré mes rêves égalitaires.

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