• L’hôtellerie-restauration veut embaucher des exilés
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    Pour pallier la difficulté de recruter à laquelle fait face l’hôtellerie-restauration depuis plusieurs années, les professionnels du secteur ont déclaré qu’ils souhaitaient embaucher des demandeurs d’asile lors du conseil interministériel du tourisme le 19 juillet. « Il y a 100 000 postes à pourvoir, la moitié en CDI et l’autre en emploi saisonnier, principalement des postes de commis de cuisine », indique l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Le syndicat patronal explique qu’il « travaille actuellement sur un "plan emploi", dont cette idée fait partie, pour répondre à la pénurie d’employés ». Du côté du GNI-Synhorcat, on parle de « 150 000 à 180 000 postes à pourvoir, de tous types : cuisiniers, commis de cuisine, serveurs… ». Le président de la branche « cafés-bars-brasseries » du syndicat, Pascal Pelissier, juge que « ce n’est pas une équation parfaite, mais on a l’offre des emplois, et il y a de la demande chez les demandeurs d’asile ».

    Reste que les lourdeurs administratives compliquent l’emploi des exilés. Aujourd’hui, ils ne peuvent prétendre à une autorisation de travail qu’au bout de neuf mois après le dépôt de sa demande d’asile (qu’elle soit validée ou non). Le GNI-Synhorcat plaide pour « l’accélération des procédures ». Pascal Pelissier fait savoir qu’une « demande de discussions a été adressée, pour un rendez-vous à la rentrée avec le gouvernement ». Le député LREM Aurélien Taché, auteur d’un amendement voté dans le cadre de la loi asile et immigration réduisant le délai d’autorisation à six mois, voit cet appel des restaurateurs comme « une demande pertinente ». Il confirme que « des discussions se mettent en place. Au cours de l’été elles sont un peu ténues, mais tout cela va reprendre à la rentrée ».
    « Main-d’œuvre docile »

    Mais la question de l’emploi de demandeurs d’asile dans ce secteur souvent précaire, où subsistent le travail au noir et le recours illégal à des sans-papiers, est un sujet très polémique. « La demande du patronat est hypocrite. Il ne veut pas se préoccuper des mauvaises conditions de travail et des rémunérations trop basses », critique le responsable de la CGT-Hôtels de prestige et économiques (HPE), Claude Lévy. Pour être régularisé par le travail, un exilé qui n’a pas obtenu le statut de réfugié, doit résider depuis au moins cinq ans sur le territoire, et prouver une ancienneté d’activité professionnelle de huit mois sur les deux dernières années (ou de trente sur les cinq dernières). La préfecture régularise alors au cas par cas, délivrant un titre de séjour valable un an, pour un CDI. « Pour renouveler sa carte d’un an, le travailleur immigré ne doit pas perdre son emploi, ajoute Claude Lévy. On se retrouve donc avec une main-d’œuvre docile, qui accepte des conditions de travail que les autres travailleurs n’acceptent plus ! Ce petit jeu peut durer des années… » Son syndicat plaide pour que « dès que l’on régularise, ce soit pour un titre de dix ans, afin d’éviter cette mainmise du patron ».

    Début août, douze femmes de chambre et équipiers sans papiers employés au Campanile de Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) se sont mis en grève, soutenus par la CGT-HPE. Ils ont obtenu dès le lendemain, de leur entreprise sous-traitante, qu’elle remplisse les documents nécessaires au dépôt de leurs demandes de titre de séjour. « Pour la première fois, les restaurateurs demandent cette régularisation, alors que jusque-là, certains, peu scrupuleux, se satisfaisaient des irrégularités : c’est positif ! » souligne Aurélien Taché. C’est que les restaurateurs sont de plus en plus sommés de se mettre aux normes. Depuis le 1er janvier, dans le cadre de la loi de finances, a été prévu un renforcement des effectifs de contrôleurs fiscaux et des moyens mis à la disposition des enquêteurs contre le travail au noir. Cette loi durcissant également les peines à la clé pour les auteurs de fraudes, les restaurateurs s’exposent de plus en plus à des contrôles de leur comptabilité, et de leur personnel.
    Insertion professionnelle

    « Il y a trente ans, des populations bengalies, sri-lankaises, indiennes sont arrivées en Europe de l’Ouest, dans nos cuisines, et cela se passe très bien, tient à rappeler Pascal Pelissier. Ce sont des métiers à ascension sociale : plongeur, ce n’est pas une destinée, c’est un début », reconnaît-il, tout en affirmant l’importance de collaborer avec des associations intervenant auprès des migrants. « En plus de l’exil, ces personnes vivent le déclassement, alors que nombre d’entre elles sont très qualifiées », ajoute Aurélien Taché. Il faudrait, selon lui, établir « une vraie dimension d’insertion professionnelle dès leur arrivée dans le pays : tester leur niveau de français pour suivre ensuite des cours, valoriser leurs compétences, leur faire découvrir la vie d’entreprise en France ».

    D’autant que d’autres secteurs que l’hôtellerie-restauration sont intéressés, y compris pour des « postes plus qualifiés. J’ai rencontré de nombreuses entreprises qui recherchent ces profils de personnes migrantes, souvent diplômées, parlant plusieurs langues », explique Aurélien Taché, qui a remis en février un rapport de 72 propositions pour l’insertion des exilés. L’objectif du député ? « Que les secteurs où on a des besoins (la restauration, le bâtiment et le numérique) soient pourvus, et que les autres ne passent pas à côté des profils intéressants. »