Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

    • Mille mercis à Laurent :

      Récit. Raffut, le mot et le geste
      Jeudi, 9 Août, 2018
      Alain Nicolas
      https://www.humanite.fr/recit-raffut-le-mot-et-le-geste-659096

      Raffut Philippe De Jonckheere Inculte, 188 pages, 16,90 euros
      Philippe De Jonckheere fait de l’agression dont son fils autiste a été victime un récit plein d’empathie et une réflexion sur le langage et les codes sociaux.

      Pour le profane, « raffut », c’est tout simplement du bruit. Pour les amateurs de rugby, c’est un geste autorisé au porteur du ballon qui vise à écarter un défenseur en passant en force, le bras tendu et la main ouverte. Émile, le fils de Philippe De Jonckheere – il ne s’appelle pas Émile, mais, comme tous les protagonistes de cette histoire sauf l’auteur, porte « un prénom comme ça » –, a « raffuté » un jeune homme, Youssef, qui voulait l’empêcher de ramasser des mégots devant un arrêt de bus. Youssef a riposté en rouant de coups Émile. L’affaire a des suites judiciaires qui peuvent être graves. Parmi les circonstances aggravantes, le fait qu’Émile soit handicapé.

      Émile est autiste. « Enfin autiste c’est vite dit, (…) à la frontière de l’autisme, mais nul ne sait exactement de quel côté de la frontière. » Le récit de Philippe De Jonckheere est celui d’un homme qui ne cesse de repérer, de longer des frontières de toutes sortes, et parfois de les franchir. Entre « »neurotypiques » et autistes, entre ceux qui jouent au rugby et les « manchots » qui « poussent les citrouilles », entre ceux qui portent des prénoms comme Youssef ou Farid et ceux qui s’appellent Émile, Sarah, Zoé, entre ceux qui, au tribunal, sont les « victimes », qu’ils se soient ou non portés partie civile, et ceux qui passent trois jours en garde à vue.

      Racontant cette histoire depuis le moment où il rentre du travail jusqu’à l’audience de comparution immédiate où il rencontre face à face le lycéen de terminale qui a battu son fils, Philippe De Jonckheere, tout en donnant un récit chronologique d’une précision scrupuleuse, ne cesse de s’interroger sur sa place dans ce lacis d’attentes sociales et de lignes de démarcation.

      Entre distance et empathie, il situe, dans les échanges avec son fils, dans les rituels policiers des dépositions, les codes des experts et le cérémonial « brechtien » de la justice, les jeux de rôle et les enjeux de parole. Se faire comprendre d’un autiste, d’une famille ivoirienne accablée de honte ou d’une présidente de correctionnelle, c’est « aussi une affaire de mots », et même, ajoute l’auteur, « j’y voyais surtout de la poésie ». Des mots, certes, mais terriblement incarnés dans des corps qui savent rappeler leur présence. C’est ce qui fait la beauté de ce livre simple, subtil, dont l’émotion peut, sans crier gare, vous submerger.

      #raffut