• « Vilnius, Paris, Londres », destins sans frontières

    Dans ce #roman fort et onirique, l’Ukrainien #Andreï_Kourkov entremêle quatre histoires aux portes de #Schengen.
    C’est une maison dans la neige et dans la nuit. On l’imagine en bois, dans un recoin de notre univers connu. Europe du Nord, de l’Est, peu nous importe finalement. C’est bien par un lieu que l’on entre dans un livre, et le lecteur français ne se saisira pas de Vilnius, Paris, Londres comme compatriote de l’auteur, l’Ukrainien Andreï Kourkov ; il partira en voyage vers une destination inconnue, donc imaginaire. Il s’agit cependant du premier roman de Kourkov qui ne se passe pas dans son pays et qui s’éloigne de ses tourments politiques… et l’on peut imaginer que le rôle de cette chaumière est bel et bien de dépayser celui qui ouvre ces pages, quel qu’il soit.

    Trompe-l’œil

    Pour nous, en tout cas, l’incipit a quelque chose du conte enneigé. Et dans le même temps, cette ouverture résonne avec les préoccupations de notre anthropocène : en lisant « La Terre n’est pas aveugle, même la #nuit, elle garde les yeux ouverts », on imagine s’engager dans une prose écologique. La beauté de la page est unique, car on bascule ensuite dans une autre dimension. La majuscule est mise de côté, on revient sur terre, dans un ici et maintenant chaleureux malgré l’obscurité : des personnages sont réunis pour partager un peu de chaleur, mais le lieu est indéfini. L’espace-temps met encore une page à se préciser : toujours aucune indication de localisation, mais la temporalité se resserre, l’action se produit au milieu de la nuit, « minuit moins huit », et dans un lieu qui met du temps à être nommé. On n’en prend conscience qu’au détour d’une question : « Et puis, est-il bien permis de boire à la frontière ? »

    Le roman Vilnius, Paris, Londres, comme son titre ne l’indique pas, est un livre sur la #frontière. L’intrigue se noue le jour de l’intégration de la #Lituanie dans l’#espace_Schengen, le 21 décembre 2007. Quelques détails plus faciles à saisir pour un Européen du Nord lui permettent de comprendre cela avant la page 15, ce qui a peu d’impact sur la force narrative du texte. On bascule alors d’un espace onirique à une forme de réalisme qui s’avère très vite un trompe-l’œil. L’auteur va tisser le fil de quatre aventures, traversées de cette ligne imaginaire dont l’ouverture ne semble en aucune manière éroder la puissance politique. Les trois noms de lieux qui forment le titre de l’ouvrage sont trompeurs, ils ne font qu’en trianguler un autre difficile à nommer (« près d’Anyksciai »). Sans doute trop petit pour exister sur la carte, il n’en constitue pas moins le port d’attache de tous les personnages du roman. C’est dans le lien entre ces lieux que va se déployer ce qui fait les frontières contemporaines, résolument mobiles.
    « 
    Trou noir »

    Il n’est pas anodin que cette expérience se construise depuis un petit pays européen où l’histoire a prouvé que la problématique du voisinage était loin d’être anodine et où la distance à l’autre s’avérait compliquée à déterminer : dans son roman intitulé l a Ligne des glaces, l’écrivain français Emmanuel Ruben écrit en écho, situant l’action dans un pays balte indéterminé : « Tu cherches la frontière extérieure, alors tu crois la trouver au bout de tes forces. Mais il n’y a pas de frontière extérieure. Crois-moi, la vraie frontière est à l’intérieur. Elle est infiniment plus proche que tu ne l’imagines, la vraie frontière ! »

    C’est à cette exploration d’un espace-temps frontalier qui dépasse de très loin le moment d’ouverture du poste de contrôle officiel que vont s’employer les personnages principaux de Vilnius, Paris, Londres. Le texte est construit sur l’intrication de leurs trajectoires dans une succession haletante de chapitres qui mettent en résonance intime les expériences des uns et des autres. Il n’y a rien de nécessaire entre le relatif succès économique rencontré par ceux qui sont partis à Londres, la vie de bohème de ceux qui ont préféré Paris, l’itinérance choisie par celui qui part vers l’Allemagne, et pourtant tout semble lié. L’intensité des événements traversés par ceux qui sont restés montre en miroir combien la mobilité de la frontière se fabrique aussi dans l’ancrage, comment ce sont parfois les lieux qui agissent sur les liens.

    « C’est un trou noir, cette Grande Europe […] On n’en revient pas, on ne répond plus… » déclare l’un des personnages de l’univers mis en place par Andreï Kourkov aux portes de Schengen. Derrière les anecdotes des vies rassemblées et la truculence de formules dont le texte est émaillé, il y a là certainement de quoi mettre le lecteur en éveil sur la portée géopolitique du texte dont l’auteur, malgré les apparences, ne se départ pas.

    https://next.liberation.fr/livres/2018/10/03/vilnius-paris-londres-destins-sans-frontieres_1682953
    #frontières #livre

    ping @reka

    • #Vilnius, #Paris, #Londres

      C’est la fin des #gardes-frontière et des contrôles de passeports, un immense espoir pour un pays minuscule : le 21 décembre 2007, à minuit, la Lituanie intègre enfin l’espace Schengen. Comme beaucoup de leurs compatriotes, trois couples se lancent dans la grande aventure européenne. Ingrida et Klaudijus tenteront leur chance à Londres. Barbora et Andrius à Paris. Et si Renata et Vitas restent dans leur petite ferme à Anykšciai, eux aussi espèrent voir souffler jusqu’à l’Est le vent du changement. Mais l’Europe peut-elle tenir ses promesses de liberté et d’union ? Estampillés étrangers, bousculés par des habitudes et des langues nouvelles, ces jeunes Lituaniens verront l’eldorado s’éloigner de jour en jour. Kukutis, un vieux sage qui traverse l’Europe à pied, le sait bien, lui : « Peu importe la ville où l’on veut atterrir, c’est le voyage lui-même qui est la vie. »

      Dans ce roman tour à tour drôle, tendre et mélancolique, Kourkov donne un visage à tous les désenchantés du rêve européen.


      http://www.lianalevi.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=632
      #contrôles_frontaliers