Monolecte đŸ˜·đŸ€Ź

Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • Le retour de la 3e classe ? - La Vie des idĂ©es
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    La privatisation du service public n’apparaĂźt alors que comme la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg : une segmentation plus visible que l’autre, alors que dans le service public les choses semblent souvent ne pas mĂ©riter, ne pas avoir besoin – voire se voir interdire – d’ĂȘtre dites. Bien sĂ»r ici le dĂ©sir peut ĂȘtre ici de fait non satisfait, mais non explicitement : parmi les candidats de Parcoursup toujours en attente de rĂ©ponses concernant leurs vƓux, il y a, de fait, chez ces bacheliers des filiĂšres professionnelles et technologiques, un nombre croissant d’abandon pur et simple [16] 
 mais ce n’était pas la visĂ©e explicite du systĂšme. Il suffit en revanche que soit introduit entre le dĂ©sir et sa satisfaction un dĂ©lai, un temps supplĂ©mentaire : pas mĂȘme un interdit dĂ©finitif. Le terme de « sĂ©lection » s’efface ainsi devant le fonctionnement mĂȘme de l’algorithme Parcoursup : comme dans tous les secteurs de « premiĂšre classe », les mieux dotĂ©s en ressources scolaires seront les plus vite servis. Dans les cliniques, dans le secteur 2, on attend Ă  peine. En revanche la vitesse des TGV OUIGO est illusoire puisque qu’il faut prĂšs d’une heure supplĂ©mentaire pour les rejoindre (et dĂ©sormais une heure supplĂ©mentaire sur certaines lignes pour les quitter), et les retards terribles des trains qui ne font pas les trajets socialement valorisĂ©s en tĂ©moignent : la reprĂ©sentation de l’excellence passe dĂ©sormais bien autrement que dans l’affichage des 1re, 2e, 3e classes des wagons de mĂ©tro et des enterrements d’antan. La chose ne s’énonce guĂšre qu’à travers une forme : le temps pour obtenir le service, et les Ă©gards dont il s’accompagne. Les usagers qui attendent, ou sont rabrouĂ©s pour leur impatience, le savent bien : ils ne sont pas ici de « vrais » clients, l’attente « parle d’elle-mĂȘme ». Luc Boltanski a cru pouvoir faire le constat d’un glissement de l’idĂ©ologie dominante vers un « affaiblissement considĂ©rable en volume et surtout en sophistication du discours idĂ©ologique” [17] : si la chose se vĂ©rifiait, la silencieuse segmentation des usagers jusque dans le secteur public en constituerait une forme nouvelle mĂ©ritant l’attention.

    • #HĂŽpital, soins dentaires, pompes funĂšbres, universitĂ©s, TGV : partout le service public rĂ©instaure sans le dire une « troisiĂšme classe », rĂ©servĂ©e aux plus #pauvres. Qu’est-ce que cette #segmentation nous dit des Ă©volutions de l’État-providence ?

      Segmenter socialement les usagers, matĂ©riellement et symboliquement : tel est l’usage en train de se gĂ©nĂ©raliser depuis quelques annĂ©es au cƓur du service public. AprĂšs une pĂ©riode de dĂ©mocratisation progressive de l’accĂšs aux prestations publiques, rĂ©apparaissent des « classes » d’usagers. D’oĂč ce paradoxe : la dĂ©mocratisation semble dĂ©sormais devoir passer par
 la stratification. Ce phĂ©nomĂšne, aisĂ©ment datable, est loin d’ĂȘtre anodin. Que s’est-il donc passĂ© au juste ? Comment l’expliquer ? Et quelles peuvent en ĂȘtre les rĂ©sonances et les implications idĂ©ologiques et sociales ?

      Une troisiĂšme classe

      Elle se traduit d’abord dans la prise en charge des corps malades. Avec les consultations privĂ©es des chefs de service Ă  l’hĂŽpital public, la « dualisation » du service public hospitalier existe certes depuis longtemps. Mais les annĂ©es 1950, les idĂ©aux de l’État-providence, la sophistication du soin Ă  l’hĂŽpital, la rĂ©forme DebrĂ© de 1958 crĂ©ant les CHU avaient cessĂ© de faire de cet espace un espace de relĂ©gation des plus pauvres, loin du soin de ville privĂ© rĂ©servĂ© aux notables, pour en faire un espace d’accĂšs Ă  un soin de qualitĂ© en mĂȘme temps que de relative mixitĂ© sociale, avec les inconvĂ©nients (attentes, complexitĂ© administrative) que cela pouvait comporter.

      La crĂ©ation d’un secteur privĂ© hospitalier de droit privĂ© par une loi de 1970, le dĂ©veloppement des cliniques, aux tarifs plus Ă©levĂ©s et surtout imparfaitement couverts par le systĂšme assurantiel, la loi de 1991 offrant une concession de service public aux Ă©tablissements de santĂ© privĂ©s (tant Ă  but non lucratif que lucratif), ainsi qu’en « libĂ©ral », la crĂ©ation en 1980, du secteur 2 : « secteur conventionnĂ© Ă  honoraires libres » oĂč les dĂ©passements sont autorisĂ©s : tout cela a tendu Ă  Ă©roder de toutes les maniĂšres cette mixitĂ© imposĂ©e. Un seul exemple (ici empruntĂ© Ă  l’expĂ©rience rĂ©cente de l’auteur de ces lignes) mais particuliĂšrement rĂ©vĂ©lateur : une IRM, « soin » purement technique dĂ©pendant d’une machine et de coĂ»t en principe stable, est tarifĂ©e Ă  50 € Ă  l’hĂŽpital, oĂč elle est entiĂšrement prise en charge par la couverture sociale. Dans une clinique consultĂ©e, l’IRM se voyait tarifĂ©e 130 €, soit beaucoup plus que le double, 60 euros restant Ă  la charge de l’usager.

      Cette variation n’étant guĂšre officialisĂ©e, ce diffĂ©rentiel n’est pas immĂ©diatement visible, a contrario de l’accueil et du dĂ©cor c’est-Ă -dire des signes extĂ©rieurs de qualitĂ©. Ce n’est pas tant en termes de contenu que les prestations sont hiĂ©rarchisĂ©es entre hĂŽpitaux et cliniques qu’en termes de forme : c’est de ce point de vue seulement que l’hĂŽpital peut apparaĂźtre Ă  beaucoup comme prestataire de soins de 2e classe. Temps d’attente pour obtenir un rendez-vous, temps d’attente sur place pour accĂ©der aux examens prĂ©alables, puis pour accĂ©der au mĂ©decin, convocation bien avant l’heure, personnel visiblement dĂ©bordĂ©, voire dĂ©sagrĂ©able : l’usager de l’hĂŽpital doit accepter d’ĂȘtre captif, docile, bref un vĂ©ritable « patient », moins pressĂ©, dotĂ© d’un temps moins prĂ©cieux que les autres, en tout Ă©tat de cause un « usager » plutĂŽt qu’un « client ».

      En revanche, par ses plateaux techniques, par la spĂ©cialisation de ses professionnels, l’hĂŽpital demeure Ă  la pointe de la recherche et de certains soins : il continue Ă  reprĂ©senter de ce point de vue une premiĂšre classe du soin, y compris pour les Ă©lites. Inversement, certaines cliniques dĂ©livrent des soins standardisĂ©s et de qualitĂ© mĂ©diocre. La partition entre classes de prestations et de d’usagers passe donc non seulement entre Ă©tablissements mais au cƓur mĂȘme des hĂŽpitaux publics : l’ilot privilĂ©giĂ© que reprĂ©sentent les consultations privĂ©es en serait exemplaire.

      Mais ce qui est moins connu, c’est qu’au cƓur mĂȘme de cet espace souvent considĂ©rĂ© comme de « deuxiĂšme classe » qu’est devenu l’hĂŽpital public, une troisiĂšme classe a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e et que cette derniĂšre a, pour le coup, retrouvĂ© tous les vieux dĂ©fauts de l’hĂŽpital public, encore si frĂ©quents dans les annĂ©es 1960 – attentes interminables, mauvaise humeur des soignants, disqualification des patients – qui s’étaient estompĂ©s avec l’enrichissement du pays. Ils font retour, mais sous une forme fortement aggravĂ©e, et pour certains segments de population seulement.

      Car en 1998, une loi crĂ©e au cƓur du service public, les #PASS, les Permanences d’accĂšs aux soins de santĂ©, rĂ©servĂ©es aux personnes exclues du systĂšme de santĂ© par dĂ©faut de solvabilitĂ© (population prĂ©caires) et/ou de citoyennetĂ© (l’étranger sans papier). Mais les Pass sont un service de soin au rabais. Dans ces espaces, dĂ©jĂ  en retrait de l’hĂŽpital, tous les mĂ©dicaments et tous les soins ne sont pas accessibles (comme dans la mĂ©decine d’urgence), certains y sont considĂ©rĂ©s comme des soins de confort (bĂ©quilles, fauteuils roulants), les personnels y sont surchargĂ©s, les temps d’attente pour avoir un rendez-vous comme pour ĂȘtre reçus en consultation y sont longs, et une Ă©norme docilitĂ© y est surtout attendue des patients (ceux qui n’ont pas rĂ©ussi Ă  ĂȘtre reçus doivent y retourner le lendemain). Bref, tous les traits de la mĂ©decine de « deuxiĂšme classe » Ă©voquĂ©e plus haut (coĂ»t moins Ă©levĂ© mais attentes plus longues, prestations incomplĂštes, et moindres Ă©gards pour la patientĂšle) sont fortement accentuĂ©s ici. Or cette « troisiĂšme classe » de services de santĂ© s’est vue crĂ©Ă©e de l’intĂ©rieur de l’institution.