Rappelons que le juge d’instruction est un magistrat indépendant.
Par exemple, une fois qu’il est nommé sur un poste, vous ne pouvez
plus le déplacer contre son accord. A l’inverse, le procureur, lui, est
dépendant du pouvoir politique, il est nommé sur proposition du
ministère de la Justice. Au point que la Cour Européenne refuse que
les parquetiers soient considérés comme des juges, car ils ne sont ni
indépendants, ni impartiaux. Et puis, autre différence de fond, les
avocats ne disposent pas des mêmes droits dans le cabinet d’un juge
ou dans le bureau du procureur.
Certains de vos confrères considèrent même que les droits de la défense sont actuellement en régression.
C’est le moins que l’on puisse dire. En réalité, nous sommes revenus un siècle en arrière ! Il nous a fallu attendre 1897, pour pouvoir rentrer dans le bureau du juge d’instruction, afin d’assister nos clients, puis, peu à peu, nous avons gagné le droit d’avoir accès au dossier d’instruction. Enfin, nous savions quels étaient les charges et les éléments de preuves retenus contre les personnes que nous défendions, et nous pouvions demander à entendre des témoins, ou faire réaliser des contre-expertises.
Aujourd’hui, tout ceci est en train de disparaître. Dans le cadre des enquêtes préliminaires, nous n’avons plus aucun droit. Aucun. Jusqu’à la date du procès, nous ignorons quels sont les éléments sur lesquels s’appuie l’accusation. C’est juste scandaleux. Il ne s’agit pas pour nous de défendre des intérêts catégoriels, nous souhaitons juste alerter l’opinion sur cette régression démocratique. Sans compter que la réforme de la justice actuellement proposée par la garde des sceaux, Nicole Belloubet, renforce encore en matière de perquisitions, de géolocalisations, et d’interceptions téléphoniques, les pouvoirs des procureurs. Sans nous en rendre compte, réforme après réforme, nous basculons dans un autre système, mais cela ne durera pas.
Pour quelles raisons, selon vous ?
La France, immanquablement, va se voir condamnée par les instances
européennes. Notre système est trop déséquilibré. L’égalité des
armes entre l’accusation et la défense - l’un des piliers du droit - n’est
plus respectée. D’ailleurs, nos politiques, quand ils sont poursuivis,
en sont eux-mêmes surpris. Ils demandent à leurs avocats de les
défendre, mais souvent face aux procureurs, faute de moyens légaux,
cela s’apparente à une mission impossible. Une partie de la colère de
certains politiques contre la justice vient aussi peut-être de là.