• Merci @unagi et @reka !
      Effectivement, pour celles et ceux qui se trouveraient à Berlin, on ne peut que recommander d’aller voir dans le quartier bavarois (Schöneberg) l’installation « Orte des Erinnerns im Bayerischen Viertel » de Renata Stih und Frieder Schnock : https://de.wikipedia.org/wiki/Orte_des_Erinnerns_(Bayerisches_Viertel). Elle montre à la perfection comment l’horreur s’insinue petit à petit dans les esprits et la vie quotidienne et finit par devenir la « normalité ».
      Par contre l’image (très connue) mise en tête du billet de The Intellectualist, sous le titre « In 1934, A NYT Editorial Asked Jews To Show More Civility Towards Nazis » date de 1943 (une arrestation dans le ghetto de Varsovie, voir https://www.histoire-image.org/de/etudes/enfant-juif-varsovie) et la juxtaposition prête, me semble-t-il, à confusion.
      Mais unagi pose ici une vraie question et il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi des déclarations d’apaisement face à la politique nazie ont couru en Allemagne même.
      1. Dans la République de Weimar : Depuis la révolution allemande de 1918/1919, à laquelle avaient participé beaucoup d’Allemandes et d’Allemands d’origine juive (voir Adolf Hitler, Mein Kampf (1925/27), à ce sujet), on retrouve souvent l’idée de devoir se faire le plus discrèt*e possible pour ne pas nuire à la cause juive ou sioniste. La ZVfD (Zionistische Vereinigung für Deutschland), par exemple, propose en 1918 de ne pas « se mettre en avant en tant que Juifs » (« als Juden zunächst nicht hervorzutreten ») tant que le Reich n’aura pas pris position sur le cas de la Palestine et le statut des Juifs en Allemagne (lettre de novembre 1918 de la ZVfD à ses délégations sur l’attitude à tenir après la révolution, citée dans Jehuda Reinharz, Dokumente zur Geschichte des deutschen Zionismus, 1882-1933 (1981), p. 237.
      2. Sous le régime nazi : Les « lois de Nuremberg » (« Nürnberger Gesetze ») désignent trois lois promulguées le 15.9.1935, dont le « Reichsbürgergesetz » et le « Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der deutschen Ehre ». La première fait des Juifs des citoyens de seconde classe (de simples ressortissants allemands et non plus des « Reichsbürger », des citoyens du Reich de plein droit) et la deuxième instaure leur ségrégation « raciale » (pour protéger le « sang » et l’« honneur » allemands). Une troisième loi fixe l’apparence du drapeau national.
      Ces lois vagues, dont la rédaction a été bâclée, seront interprétées de plus en plus durement au fil de leurs décrets d’application. Mais, à leur promulgation, elles semblent offrir enfin une base légale à la situation des personnes d’origine juive en Allemagne, qui subissent déjà l’antisémitisme ambiant déjà exacerbé, et, surtout, ces lois sont présentées comme définitives. Ainsi, Hitler déclare qu’elles sont censées établir une « relation vivable » entre les peuples juif et allemand. (« Die deutsche Reichsregierung ist dabei beherrscht von dem Gedanken, durch einmalige säkulare Lösung veilleicht doch eine Ebene schaffen zu können, auf der es dem deutschen Volke möglich wird, ein erträgliches [vivable/supportable] Verhältnis zum jüdischen Volk finden zu können. » (Discours de Adolf Hitler du 15.9.1935 devant le Reichstag cité dans : David Jünger, Jahre der Ungewissheit : Emigrationspläne deutscher Juden 1933–1938 (2016), p. 211.)
      Il n’est donc pas étonnant que l’agence de presse de l’instance nationale représentative juive, relayant le discours ci-dessus, déclare : « Les lois décidées par le Reichstag à Nürnberg ont lourdement frappé les Juifs. Elles doivent cependant constituer une base sur laquelle une relation vivable est possible entre les peuples allemand et juif. La représentation nationale des Juifs d’Allemagne veut y contribuer de toutes ses forces. La condition pour une relation viable est l’espoir que les Juifs et les communautés juives conserveront en Allemagne leur base morale et économique d’existence par une fin mise à leur diffamation et leur boycott. » ( « Die vom Reichstag in Nürnberg beschlossenen Gesetze haben die Juden in Deutschland aufs Schwerste betroffen. Sie sollen aber eine Ebene schaffen, auf der ein erträgliches Verhältnis zwischen dem deutschen und dem jüdischen Volke möglich ist. Die Reichsvertretung der Juden in Deutschland ist willens, hierzu mit ihrer ganzen Kraft beizutragen. Voraussetzung für ein erträgliches Verhältnis ist die Hoffnung, daß den Juden und jüdischen Gemeinden in Deutschland durch Beendigung ihrer Diffarmierung und Boykottierung die moralische und wirtschaftliche Existenzmöglichkeit gelassen wird. » (Communiqué de la Pressestelle der Reichsvertretung des Juifs d’Allemagne du 22.9.1935, cité dans : Otto Dov Kulka, Deutsches Judentum unter dem Nationalsozialismus, vol. 1 (1998), p. 236).

      Désolée d’être si longue...

      #nazisme #normalité #mémoire #Berlin