Monolecte 😷🤬

Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • « La thèse du ruissellement, selon laquelle plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous est illusoire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/10/26/la-these-du-ruissellement-selon-laquelle-plus-l-offre-culturelle-sera-riche-

    Les milliards investis dans les équipement de l’Etat ou l’offre numérique croissante n’y font rien : ce sont surtout les milieux aisés et cultivés qui en profitent.
    LE MONDE | 26.10.2018 à 06h37 • Mis à jour le 26.10.2018 à 09h47 | Par Michel Guerrin (rédacteur en chef au « Monde »)

    Chronique. Olivier Donnat est sociologue au ministère de la #culture. Il est un loup dans la bergerie, l’ennemi de l’intérieur, le gars qui casse le moral, fait tomber les illusions. Et les deux études qu’il vient de publier, sur le livre et la musique, ne vont pas arranger sa réputation. Le problème est que ce qu’il écrit depuis trente ans est exact. Ce qu’il a prophétisé s’est vérifié. Ce qu’il annonce est inquiétant.
    En spécialiste des pratiques culturelles, il a montré que les milliards investis par l’Etat pour construire musées, opéras, théâtres, salles de spectacle ou bibliothèques, n’ont servi qu’à un Français sur deux – aisé, diplômé, Parisien, issu d’un milieu cultivé. Ceux qui restent à la porte, souvent aux revenus modestes, s’en fichent ou pensent que cette culture axée sur les traditionnels « beaux-arts » est déconnectée de leurs envies.
    « L’excellence conduit à privilégier des créations exigeantes auxquelles les personnes les plus éloignées de la culture ne sont pas préparées »
    Ce constat, on le lit dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français que le ministère publie tous les dix ans. Olivier Donnat a piloté celles de 1989, 1997 et 2008. La prochaine est pour 2019, qui se fera sans lui – il part à la retraite dans deux mois.

    Le fossé se creuse
    Elle devrait être tout autant déprimante. Car ce qu’a montré notre sociologue, c’est que le fossé se creuse. La construction frénétique de musées ou de théâtres en trente ans a provoqué une forte augmentation de la fréquentation, mais ce sont les aficionados qui y vont plusieurs fois, tandis que les ouvriers et les jeunes de banlieue y vont moins.
    C’est dur à entendre, car l’Etat culturel s’est construit sur l’illusoire thèse du ruissellement : plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous. Aussi le ministère et les créateurs ont longtemps nié cette étude. « Il y a eu des tensions, se souvient Olivier Donnat. J’ai été vu comme un rabat-joie, on me disait que j’avais tort. »
    Aujourd’hui, cette dure réalité est acceptée puisque les cinq derniers ministres de la culture ont fait du combat pour la diversité des publics leur priorité. Mais Olivier Donnat a montré que dans les faits, rien n’a bougé. D’abord parce que ça se joue ailleurs, dans la cellule familiale, à l’école aussi – deux foyers d’inégalités. Mais un obstacle se trouve aussi au sein même du ministère de la culture, armé pour soutenir son offre prestigieuse, très peu pour capter un public modeste.

    Contradiction
    Olivier Donnat pointe aussi une contradiction. « Nos grands lieux culturels visent logiquement l’excellence. Sauf que l’excellence conduit à privilégier des créations exigeantes auxquelles les personnes les plus éloignées de la culture ne sont pas préparées. Parler à ces personnes est très compliqué. La Philharmonie de Paris y parvient en décloisonnant les genres musicaux. »
    Prenons le contre-pied. La France se doit d’avoir les meilleurs musées, opéras ou théâtres, tant mieux pour ceux qui aiment, et tant pis pour les autres. On ne va pas fermer ces lieux qui contribuent au prestige de la nation et dopent le tourisme. Et puis sans ces équipements, la situation serait sans doute pire. Enfin, pourquoi vouloir qu’une pièce novatrice, un film expérimental et un art contemporain pointu plaisent à tous ?
    Sauf que cette offre est financée avec de l’argent public et qu’au moment où les fractures sociales n’ont jamais été aussi fortes, une telle posture est jugée élitiste et a du mal à passer. Ajoutons qu’il existait, dans les années 1960 à 1980, un riche tissu culturel local (MJC, associations) qui, en trente ans, a été broyé sans que l’Etat bouge le petit doigt au motif qu’il n’est pas de son ressort, alors qu’en fait il le méprise. Ce réseau avait pourtant l’avantage d’offrir aux jeunes un premier contact avec la culture.
    Pour Olivier Donnat, l’avenir s’annonce noir pour le théâtre classique ou contemporain, les films français d’auteurs ou la lecture de romans
    En pot de départ, Olivier Donnat nous confie que le pire est à venir. Car les plus gros consommateurs de notre culture d’Etat sont les baby-boomers – ils ont du temps, de l’argent, lisent beaucoup, vont intensément au spectacle. Sauf qu’ils ont 60 ans et plus. « Dans dix ou vingt ans, ils ne seront plus là, et nos études montrent qu’ils ne seront pas remplacés », dit Olivier Donnat, qui annonce un avenir noir pour le #théâtre classique ou contemporain, les films français d’#auteurs ou la lecture de romans.
    Le numérique, dont les jeunes sont familiers, peut-il favoriser la #démocratisation culturelle ? Eh bien non, répond Olivier Donnat avec ses ultimes études sur « l’évolution de la diversité consommée » dans le livre et la musique (à télécharger sur le site du ministère de la culture ou sur cairn.info).
    « Le numérique produit les mêmes effets »
    L’offre en livres et en musiques a pourtant considérablement augmenté en vingt-cinq ans. Mais les ventes baissent. Et puis, qui en profite ? « Le numérique, porté par les algorithmes et les réseaux sociaux, ouvre le goût de ceux qui ont une appétence à la culture, mais ferme le goût des autres, qui, par exemple, ne regardent que des films blockbusters », explique Olivier Donnat, qui en conclut : « Le numérique produit les mêmes effets que les équipements proposés par l’Etat : ce sont les milieux aisés et cultivés qui en profitent. »
    Olivier Donnat prolonge la déprime en décryptant les ventes de livres et de musiques. Tout en haut, les heureux élus sont moins nombreux et à la qualité incertaine – best-sellers pour les livres, compilations pour les CD. Tout en bas, et c’est récent, le sociologue constate une hausse phénoménale de #livres et musiques pointus, vendus à moins de cent exemplaires ou à moins de dix exemplaires.
    Et au milieu, il y a quoi ? Des paquets d’œuvres souvent de qualité, dont les ventes sont également en baisse, noyées dans la #surproduction. Ces œuvres du « milieu » font penser aux films « du milieu », ainsi nommés quand ils étaient fragilisés, coincés entre les blockbusters et les films marginaux. Les œuvres du milieu, qui définissent une « qualité française », forment justement le cœur de cible du ministère de la culture. Elles seront demain les plus menacées. Déprimant, on vous dit.