Inégalités sociales et territoriales et éducation prioritaire (Revue de presse)
Le CNESCO (Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire) a publié une étude détaillée intitulée “Panorama des inégalités scolaires d’origine territoriale en France” dont les principaux enseignements ont été repris dans les médias :
- La composition sociale des collèges reflète globalement celle des territoires sur lesquels ils sont localisés.
– Les ressources humaines de l’Éducation nationale sont inégalement réparties en Île-de-France.
– Les résultats aux épreuves écrites du diplôme national du brevet (DNB) révèlent des inégalités territoriales de réussite importantes.
– Les territoires défavorisés concentrent les taux les plus élevés d’enseignants de moins de 30 ans et de non-titulaires.
– Les ressources scolaires sont inégalement réparties sur le territoire français : le cas des langues vivantes.
– Des inégalités dans la réussite aux examens.
Source : ▻http://www.cnesco.fr/fr/panorama-des-inegalites-scolaires-dorigine-territoriale-en-france
Quelques reprises dans les médias :
– L’Education nationale donne t-elle vraiment plus aux élèves défavorisés ? (Marie Piquemal, Libération)
▻https://www.liberation.fr/france/2018/10/24/l-education-nationale-donne-t-elle-vraiment-plus-aux-eleves-defavorises_1
– En Ile-de-France, une école pauvre pour les quartiers pauvres (Mattea Battaglia, Le Monde)
▻https://www.lemonde.fr/education/article/2018/10/24/en-ile-de-france-une-ecole-pauvre-pour-les-quartiers-pauvres_5373799_1473685
Ô surprise, il s’agissait du dernier rapport de cette institution indépendante, que le Ministre, J.-M. Blanquer a décidé de supprimer :
– Education : le ministre Blanquer n’aime pas les instances indépendantes (Faïza Zerouala, Médiapart)
▻https://www.mediapart.fr/journal/france/221018/education-le-ministre-blanquer-n-aime-pas-les-instances-independantes
– Le putsch de Blanquer : quand le ministre évaluateur se soustrait aux évaluations (Gurvan Le Guellec, L’Obs)
▻https://www.nouvelobs.com/education/20181012.OBS3883/le-putsch-de-blanquer-quand-le-ministre-evaluateur-se-soustrait-aux-evalu
Pendant ce temps-là (et en même temps), la Cour des Comptes a publié un rapport éponyme sur “L’éducation prioritaire”. Elle y fait 17 recommandations réparties en 6 grandes orientations :
Orientation n°1 : fortifier l’autonomie, la responsabilité et l’évaluation des réseaux de l’éducation prioritaire renforcée
1. Renforcer le pilotage académique en intégrant au projet stratégique un volet « éducation prioritaire », en exigeant des bilans annuels de sa mise en œuvre et l’élaboration d’un référentiel académique de l’éducation prioritaire ;
2. Expérimenter la constitution d’établissements publics de réseau ; établir des contrats permettant de leur allouer des moyens conditionnés à la mise en œuvre d’actions et attribuer au chef d’établissement, responsable du réseau, les marges de manœuvre nécessaires à la bonne utilisation de ces moyens.
Orientation n°2 : doter l’éducation prioritaire d’outils d’évaluation plus performants
3. Systématiser les évaluations des élèves du socle commun de connaissance, de compétences et de culture (au début et à la fin des trois cycles, puis à l’entrée et à la sortie de chaque année) par des tests standardisés dématérialisés ;
4. Alimenter des bases de données exhaustives sur les élèves, les écoles et les établissements et produire des indicateurs de valeur ajoutée des collèges et des réseaux ;
5. Utiliser ces données pour conduire de manière systématique des analyses de la performance des dispositifs mis en œuvre en éducation prioritaire.
Orientation n°3 : concentrer l’action publique sur le premier degré en mobilisant les leviers à fort rendement
6. Cibler les moyens enseignants sur le premier degré ;
7. Étendre le dédoublement des classes à l’ensemble du cycle des apprentissages fondamentaux (grande section de l’école maternelle et deux premières années de l’école élémentaire) ou à l’ensemble des classes du cycle 2 dans les écoles qui concentrent de manière aiguë les difficultés sociales et scolaires (équivalent REP+) ; mettre en œuvre une réduction de moindre intensité dans les autres classes (équivalent REP).
Orientation n°4 : ajuster la gestion des enseignants aux besoins de l’éducation prioritaire
8. N’affecter en éducation prioritaire que les enseignants disposant d’au moins deux ans d’ancienneté ;
9. Élargir la capacité des chefs d’établissement à recruter sur profils pour les postes d’enseignant situés en éducation prioritaire ;
10. Ouvrir la possibilité d’une affectation temporaire d’une durée de trois à cinq ans sur les postes en éducation prioritaire assortie de la garantie de retour à l’affectation d’origine ;
11. Améliorer le régime indemnitaire des enseignants en éducation prioritaire en introduisant des éléments variables d’une part liés à l’investissement individuel et à l’implication au sein des équipes pédagogiques, d’autre part modulés en fonction de l’attractivité de l’académie ;
12. Renforcer la place de l’éducation prioritaire dans la formation initiale des enseignants et accentuer l’effort de formation continue des enseignants affectés en éducation prioritaire ;
13. Faciliter le remplacement dans les établissements et les écoles qui
concentrent les difficultés en leur donnant une priorité et en privilégiant le recours aux titulaires remplaçants.
Orientation n°5 : revoir le processus d’identification des bénéficiaires et réviser les mécanismes d’allocation des ressources
14. Répartir l’ensemble des établissements (et des écoles lorsque les données le permettront) en plusieurs catégories homogènes, définies en fonction d’un indice synthétique de difficulté tenant compte de leurs caractéristiques propres ;
15. Utiliser ces catégories pour allouer les moyens spécifiques de l’éducation prioritaire et distribuer les moyens non spécifiques à l’ensemble des écoles et des établissements en tenant compte du profil des élèves scolarisés, afin d’introduire un continuum dans le dispositif d’allocation et réduire les effets de seuil des mécanismes actuels.
Orientation n°6 : favoriser la mixité scolaire en renouvelant
les mécanismes d’affectation des élèves
16. En partenariat avec les collectivités territoriales, faire évoluer la carte scolaire et les modalités d’affectation des élèves afin de favoriser la mixité et créer un observatoire de la mixité auprès du recteur chargé de rédiger un rapport sur la mixité dans l’académie tous les deux ans ;
17. Associer les établissements privés sous contrat concernés aux processus d’évolution de la carte scolaire et inciter à scolariser des élèves qui reflètent mieux les caractéristiques sociales et scolaires de la population de la zone de recrutement.
Source : ▻https://www.ccomptes.fr/fr/publications/leducation-prioritaire
De fait la plupart de ces recommandations valident les premières décisions de "l’ère Blanquer” ou prépare la réforme annoncée (pour dans quelques mois) de l’éducation prioritaire, pour le reste ces orientations collent comme d’habitude à l’agenda néolibéral sur l’éducation.
Ce rapport a eu aussi quelques échos médiatiques :
– Education prioritaire : la Cour des comptes propose d’en finir avec l’étiquette REP ou REP+ (Marie Piquemal, Libération)
▻https://www.liberation.fr/france/2018/10/17/education-prioritaire-la-cour-des-comptes-propose-d-en-finir-avec-l-etiqu
– La Cour des comptes signe l’aveu d’échec des politiques d’éducation prioritaire (Violaine Morin, Le Monde)
– La Cour des Comptes pointe l’échec criant de l’éducation prioritaire (Alice Mérieux, Challenges)
▻https://www.challenges.fr/politique/la-cour-des-comptes-tacle-l-education-prioritaire_619935
La remise à plat de l’éducation prioritaire par le ministère Banquer pourra donc s’appuyer sur deux faits répétés à l’envi dans les médias :
– Les politiques d’éducation prioritaire sont un échec
– Les élèves défavorisés sont majoritairement hors dispositif éducation prioritaire (cf. ▻https://seenthis.net/messages/637255)
Ces deux faits sont exacts, reste qu’ils serviront sans doute à justifier le démantèlement de dispositifs imparfaits au profit de l’idéologie portée par le libéralisme : la responsabilité individuelle dans les parcours de chacun. Il y a fort à parier que la prochaine réforme enterrera les analyses sociologiques pour allouer quelques moyens aux "individus qui s’en donnent la peine".
Pour faire fonctionner un système éducatif moins inégalitaire, ce sont d’autres analyses et d’autres orientations qu’il faudrait convoquer.
Outre les pistes ouvertes par les analyses du CNESCO mettant en lumière des mécanismes institutionnels inégalitaires dans l’allocation des moyens allant à l’encontre de la discrimination positive censée profiter aux quartiers prioritaires, un point, par exemple, soulevé dans le rapport de cette même cour des comptes en 2012, aurait mérité d’être mentionné et commenté : le fait que les "crédits spécifiques" viennent se substituer aux "crédits de droit commun" au lieu de s’y ajouter :
Dans ces conclusions, la Cours des comptes rejoint les avis de nombreux experts ou d’associations : alors que les crédits spécifiques sont censés venir en renfort des crédits de droit commun pour jouer un effet de levier, il apparait dans certains cas, et particulièrement dans les domaines prioritaires de l’emploi et l’éducation, qu’ils se substituent à ces derniers, sans être alors suffisants pour financer des actions qui relèvent normalement des politiques de chaque ministère concerné.
Source : ▻http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/actualites-de-leducation-prioritaire-1/cour-des-comptes-urgence-coordonination
Ici comme ailleurs, faute de s’être réellement donné les moyens des ambitions affichées, on décide d’y renoncer…