• Contre un Goncourt misogyne : le Femina, un prix tour à tour militant, volcanique et collabo
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    Nous sommes en 1904 et le jury du prix Goncourt, créé l’année précédente, s’apprête à décerner son deuxième prix. Avec son roman La conquête de Jérusalem, l’orientaliste Myriam Harry est jugée favorite. Lorsque les dix jurés attribuent finalement le prix à Léon Frapié pour son roman La Maternelle, la déconvenue est grande. Entre stupéfaction et indignation, les réactions ne tardent pas à se faire entendre.

    Vingt-deux femmes de lettres, présidées par la poétesse Anna de Noailles, se réunissent et décident d’instituer un prix pour revendiquer leur légitimité littéraire. Le 28 janvier 1905, elles remettent rétrospectivement le prix à Myriam Harry, acte de rébellion contre la misogynie des “dix du Goncourt”. Pour Sylvie Ducas, il s’agit clairement d’une revendication placée dans le registre du genre :

    Les femmes de lettres revendiquent leur droit d’entrée dans les sphères de légitimation littéraire et trouvent précisément dans le Goncourt le contre-modèle idéal avec lequel elles entendent rivaliser.

    “Pas de jupons chez nous !”, l’exclamation de Joris-Karls Huysmans dès les débuts du prix Goncourt donne à elle seule la température de l’époque. Une vingtaine d’années plus tard, la pilule n’est toujours pas passée, et certains journalistes ne reculent pas devant les métaphores animalières et autres dénigrements pour critiquer ce jury féminin. Dans sa thèse de doctorat consacrée aux prix Goncourt et Femina, Sylvie Ducas a analysé la virulence de la presse de l’époque. Ces mots publiés dans L’Humanité en 1925 en donnent un parfait exemple, le journaliste allant jusqu’à comparer le jury du Femina au "tribunal des pintades" :

    Il est un spectacle qui dépasse en horreur comique la réunion Goncourt, c’est l’assemblée de poules qui décerne le prix Femina - Vie Heureuse. Quelques femmes plus ou moins de lettres ont coutume de couvrir de fleurs, chaque année, l’écrivain assez heureux pour émouvoir leur épaisse sensibilité [...] Le ridicule des duchesses de lettres qui fut de tout temps notoire n’avait pas encore réalisé ce prodige : s’instituer en jury littéraire ! Ce doit être un bien beau tableau de moeurs, ce salon où ces Corine [sic] sans talent défendent chacun [sic] leur protégé et exaltent la gloire du romancier qui a su le mieux chatouiller leurs petites passions [...] Petits cris, piaillements, ces mots prennent toute leur valeur quand on a vu la photographie de ce grotesque comité, l’image de ces lourdes quadragénaires crevant de vanité sous leurs perles et dans leur graisse molle ; tout le sinistre d’un salon du monde uni au comique (un comique qui ne fait pas rire), au ridicule de bas bleus ratés et croulants [...] [au] snobisme du tribunal des pintades.