C’est jaune, c’est moche et ça peut vous pourrir la vie… | DEFENSE COLLECTIVE
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Pourquoi nous n’irons pas au 17 novembre ?
Ce 17 novembre n’a pas encore eu lieu que pourtant déjà fleurissent un peu partout des commentaires qui érigent cet appel en « mouvement » . On parle ainsi d’agrégat de colères diverses et variées, de vent de révolte populaire au sens strict du terme, et de formes de mobilisation échappant aux organisations conventionnelles. Un mouvement social aux formes inédites et capable de dépasser la situation sociale actuelle serait en gestation ? Pour l’heure, le moteur et le seul trait commun de l’ensemble des appels à l’action est une grogne antifiscale, devant se manifester par le biais d’un blocage routier…
« On bloque tout » ? On rit jaune…
Si le terme de « blocage » semble clair pour quiconque a une fois dans sa vie participé de près ou de loin à un mouvement social, dans le cas présent il revêt un aspect pour le moins singulier, notamment en raison de sa date de mise en application : le samedi. Que peut-on espérer concrètement d’un blocage un jour de fermeture de la plupart des entreprises ? Voilà la question qu’on peut se poser en premier lieu. Contre qui espère-t-on imposer un rapport de force si l’on décide d’être le moins nuisible possible pour les patrons ? D’autant plus que l’on voit fleurir parmi les consignes de certains évènements des messages du type « laisser passer ceux qui travaillent », etc.
Ces modalités d’action n’ont rien d’inédit : elles sont courantes chez les groupements politiques droitiers, les syndicats corporatistes, les petits commerçants défendant la liberté d’exploiter… Dupont-Aignan a plusieurs fois lancé des actions de « blocage » auprès de stations de péage autoroutiers, même chose pour les Bonnets rouges. À chaque fois fut posé en règle de base le respect de la « liberté de travailler » justifiant la date et permettant de créer la distinction à faire avec les mouvements sociaux ; à chaque fois ces actions furent qualifiées d’un prétendu « spontanéisme populaire des gens des périphéries », qui trouveraient par ce biais les moyens de « se faire entendre ». Le « blocage » des gilets jaunes n’en est pas un : il n’a pas pour objectif de perturber l’économie, de mettre en difficulté le patronat, ni de libérer du temps pour s’organiser, mais uniquement de rendre visible une « colère » censée être « apolitique ».
Le mouvement des gilets jaunes tiendrait également sa spécificité d’une forme d’organisation éclatée « jamais vue ». Il se structurerait informellement autour de Facebook, sans chef identifiable. On tient là le nœud du problème, puisqu’à vouloir prendre pour vérité le miroir déformant d’Internet, on passe à côté des éléments les plus importants d’analyse. Tout d’abord, il est faux de considérer que ce mouvement est un tant soit peu horizontal ou sans chef, c’est un effet de complète dispersion des mots d’ordres qui procure cette impression. Même Libération nous le rappelle : « Dans ces mouvements grassroots venus d’Internet, le chef, c’est l’admin de la page Facebook. Rien de plus. »1 Et tant pis pour les espaces de discussion politiques ou stratégiques, place aux nouvelles formes d’organisation 2.0 !
En ce qui concerne les gilets jaunes rennais, par exemple, leur espace d’organisation hors Facebook a consisté en tout et pour tout en deux réunions pendant lesquelles les organisateurs de l’événement ont donnés leurs ordres à une petite trentaine de personnes, présentant de longues consignes de sécurité et montrant manifestement que tout était déjà préparé avant la réunion, qui ne servait qu’à galvaniser les troupes (« Vous pouvez applaudir ! »). Pour le fond politique, ils se sont contenté de répéter vaguement le plus petit dénominateur commun entre les membres de leur public, « Marre des taxes ! », et d’insister au final sur le caractère apolitique de la démarche : « C’est un mouvement citoyen » et autres « Si on voit des banderoles, on les arrache ! ». Pour les modes de mobilisation horizontaux et révolutionnaires, on repassera…
La « France périphérique » s’en va-t-en guerre
La construction d’un rapport de force contre l’État, via la revendication antifiscale, pour une question de baisse des prix de l’essence n’est pas anodine. Il trouve son sens dans un regroupement populaire formé par la poursuite d’intérêts communs ? Mais ceux-ci s’appuient sur une structuration sociale opposant le « peuple de France » (qui regroupe pêle-mêle entrepreneurs, cadres, commerçants, ouvriers, retraités et employés, en bon ordre interclassiste, et sans distinction de positions politiques bien sûr, on est pas là pour ça) aux élites urbaines coupées des problématiques populaires. En effet le « peuple » conceptuel pointe invariablement son nez quand le rapport de classe passe en arrière-plan.
Le flou qui en résulte s’exprime aussi notamment dans des référence historiques aux contours douteux, évoquant « le monarque contre la plèbe », les révoltes paysannes sous l’ancien Régime et ainsi de suite. Se sentir obligé d’aller chercher des références datées de plusieurs siècles pour expliquer la source d’un conflit de 2018 laisse songeur. Sans même s’en rendre compte, la plupart des dernières analyses du « mouvement des gilets jaunes », posent comme acquise l’existence d’un « peuple des périphéries » (groupement de bon sens autour d’un « ras le bol de Macron », et du rejet du mouvement social) qui s’oppose aux « bobos des villes » et aux décideurs.
C’est exactement le schéma de société théorisé et défendu par l’extrême droite, notamment parce qu’il porte en lui la refonte des questions de classes autour de concepts presque exclusivement territoriaux. Ainsi, le monde fonctionnerait autour des salauds « bobos », habitants des villes, ennemis jurés de l’essence, en rupture décadente avec le « passé » du bon peuple de France. Pour sauvegarder ce schéma de société, une barrière morale est érigée autour de la figure du « pauvre de campagne », qui a la vie dure non pas a cause de son patron qui ne le paye pas suffisamment pour qu’il puisse se rendre sur son lieu de travail, mais à cause des taxes, et d’un ennemi aux contours flous, aux allures complotistes. (...)