Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Les « gilets jaunes », qu’est-ce que c’est ?
    http://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213

    par Michel Wieviorka

    Différemment, pour le courant auquel j’appartiens, avec pour chef de file depuis une soixantaine d’années Alain Touraine, un « mouvement social » est la signification la plus élevée d’une action contestataire mettant en cause face à un adversaire social les orientations générales de la vie collective et présentant deux faces, l’une tendue vers un projet, l’autre défensive. On notera, au passage, que dans les deux cas – Tilly et Touraine –, la figure paradigmatique du mouvement social est donnée par le mouvement ouvrier.

    La mobilisation actuelle des « gilets jaunes » comporte-t-elle, parmi d’autres, la signification singulière de « mouvement social », au sens auquel je me réfère ? De façon certainement réelle, mais aussi limitée.

    De façon générale, et c’est le thème principal de mon dernier livre, la violence est le contraire du mouvement social, en tous cas au sens indiqué plus haut. Elle surgit quand celui-ci ne parvient pas ou plus à exister et à se transcrire en action concrète, et transforme en rupture ce qui dans un conflit est de l’ordre de la relation, du débat et, éventuellement, de la négociation.

    Le conflit met aux prises des adversaires, là où la violence oppose des ennemis. Mais cette dernière peut aussi être un élément du mouvement social, une composante à la fois stratégique et expressive. C’est même ainsi qu’il faut comprendre, à certains égards, les violences des samedi 24 novembre et 1er décembre derniers à Paris – sans oublier qu’il y en a eu aussi dans quelques autres villes de France.

    C’est ainsi que quatre tendances se dessinent, au moins.

    La première – transmission en langage politique du discours des acteurs quand ils scandent « Macron démission ! » – consiste à exiger un référendum. Ce qui, dans la tradition française et compte tenu des circonstances, ne peut être qu’un plébiscite à l’envers : la question en serait dictée par les contestataires, et le résultat prévisible en serait la mise en échec du président, avec à la clé son départ.
    A Marseille, le 1ᵉʳ décembre 2018. Clément Mahoudeau/AFP

    La deuxième est une mise en forme politique de l’idée « dégagiste » selon laquelle il faut en finir avec les parlementaires en place. Elle passe par la dissolution de l’Assemblée nationale, et ne peut aboutir qu’à une cohabitation, puisque le président reste en place dans une telle hypothèse.

    Troisième tendance : l’autoritarisme, qui commence à se faire entendre. Il est alors demandé à la tête du gouvernement un nouveau premier ministre qui ait de la poigne – le nom du Général de Villiers circule dans certains milieux, vraisemblablement à son corps défendant. Parfois encore, quatrième tendance, il redevient question d’un changement institutionnel radical, et le thème de la « VIe République » refait alors surface.

    Ainsi, faute de niveau intermédiaire dans le système politique et social institutionnel, les demandes du mouvement deviennent des projets politiques au sommet. Elles ne sont susceptibles d’aboutir alors qu’au prix d’un spasme social prolongé et paralysant pour le pays, encouragé par des politiciens désireux non pas de voir ramener rapidement la paix, le dialogue et la négociation que de faire vivre les tensions incarnées par le couple paradoxal gilets jaunes–violence.

    Il est injuste d’y voir une ébauche de fascisme, à l’italienne, car ils ne sont pas porteurs de revendications qui en donneraient l’image ; il est tout autant erroné d’y voir l’acteur contestataire d’un monde nouveau, car ils n’apportent pas d’appels au renouveau culturel, intellectuel, utopique, créatif – ou fort peu.

    Céder à leurs demandes est à la fois nécessaire, voire incontournable, et périlleux.

    #Gilets_jaunes #Mouvement_social