Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Ce que les gilets jaunes nous disent …

    Par Étienne Adam (Ensemble !)

    Le mouvement (ou les mouvements ?) des gilets jaunes résiste aux catégories habituelles de caractérisation d’un phénomène politico-social : c’est pourquoi nous peinons tant à savoir ce qu’il faut faire. Ce n’est pas un mouvement manipulé par l’extrême droite même s’il y a eu des tentatives et qu’un certain nombre de thématiques originelles ressemblaient fort à celles de l’extrême droite. Aujourd’hui le fait que dans les sondages les plus récents le RN semble en bénéficier électoralement ne change pas grand chose pour la caractérisation du mouvement lui même. Par contre il en dit long sur l’hégémonie du RN sur le champ politique et sur le poids de celui ci et de ses alliés potentiels dans le système de représentation politique tel qu’il fonctionne encore aujourd’hui.

    A l’inverse de la solution libérale-autoritaire qui domine le champ politique , une des dimensions essentielles du mouvement est de porter de l’égalitarisme, une critique radicale de la capacité du capitalisme à faire société aujourd’hui. Il est vrai qu’ il reste largement dans le champ de la redistribution (entre les « gros et les petits ») avec l’État et la fiscalité comme outils1. C’est pourquoi la revendication du partage des richesses montre aussi ses limites et ses ambiguïtés dans un consensus sans débat sur le comment et quoi partager. Ainsi personne, ou presque, n’évoque comment s’attaquer au partage, de la valeur au sein même des entreprises et ne met en cause le pouvoir des dirigeants et des actionnaires.

    Il n’en reste pas moins que la revendication du droit de vivre dignement et le droit d’en avoir les moyens financiers est une vraie dimension révolutionnaire qui rencontre un large écho. La chape de plomb de l’économisme qui étouffait le débat politique n’est plus aussi pesante : à la contrainte économique indépassable s’oppose la nécessité et l’urgence sociale.

    Nous ne parlons plus dans le même cadre de débat public. La « modération réaliste » d’hier n’est plus de mise : face à des gens qui affirment leur droit « d’être » face à un système économique qui les broie, il ne suffit plus d’avancer des mesures tellement transitoires qu’on ne voit pas vers quoi elles transitent. La revendication du SMIC est posée comme une nécessité vitale et c’est cela qui rend réaliste une augmentation de 10 ou 20 % inimaginable il y a quelques mois . Aujourd’hui il nous faut parler « radical » non pas dans la forme d’un « parler dru populaire » mais sur le fond : il est temps par exemple de proposer l’abolition du chômage comme objectif. Les propositions de principe ( de congrès ?), « irréalistes et peu crédibles », sur la sécurité professionnelle restaient dans des petits cercles et ne bénéficiaient pas d’une grande publicité ; elles peuvent s’imposer dans le débat public . Le mouvement des gilets jaunes a ouvert un champ du possible, nous devons contribuer à ce que ce champ reste ouvert. Depuis des années nous invoquons dans nos textes l’urgence sociale et la voilà sur le devant de la scène. Comment agir pour que d’autres priorités ne nous soient imposées ? D’où la nécessité d’exister comme gauche pour le commun, autogestionnaire... avec un projet d’avenir pour tous et toutes et pas seulement pour les premiers de cordée.

    Ce mouvement des gilets jaunes, dans sa diversité, porte aussi une critique radicale du système de représentation politique que nous connaissons aujourd’hui, il aspire à une démocratie plus complète.L’an dernier les diverses variantes du « dégagisme » semblaient apporter une réponse aux aspirations de ce type en faisant table rase des partis traditionnels. Tout le monde s’est félicité de l’ échec du dégagisme macronien, il n’a pas réussi à solidifier un bloc bourgeois autour d’une verticalité étatique : en singeant le totalitarisme soft du management dans les entreprises il a oublié qu’une société est plus hétérogène et que le rôle de l’État est de prendre en compte les contradictions et de les gérer. Il a surtout sous estimé la peur de la précarisation dans des fractions de classes, peur qui les empêchent d’accepter l’abandon complet des laissés pour compte : c’est ce qui se manifeste aujourd’hui dans la solidarité. Une année de gestion managériale a ouvert les yeux, par exemple de nombre d’électeurs de Macron, sur les limites d’un discours participatif : plus, cette année a mis en évidence l’autonomisation de la scène politique vis à vis des électeurs, et le lien entre recul démocratique et régression sociale. Mais cette crise de la représentation n’affecte pas seulement Macron, elle frappe durement notre camp, d’autant plus durement que la gauche c’est du collectif, la force du nombre . Le camp des dominés ne dispose pas des positions fortes dans la société que sont les appareils d’Etat et les appareils d’hégémonie en particulier les grands médias qui fabriquent l’idéologie dominante et la démocratie d’opinion : ceci ne se limite pas à la propagande, à être le relais des discours gouvernementaux, mais plus largement à induire des attitudes, des comportements, des modes de consommation par exemple qui fondent une vision du monde et de la société. Nous avons eu samedi 15 une démonstration de l’efficacité conjointe des forces du maintien de l’ordre et des télés d’État.

    Les représentants de la gauche, et même la FI qui a suivi le mouvement, ne peuvent espérer offrir un débouché politique classique aux gilets jaunes : ce n’est pas un programme « repris par les gilets jaunes » qui peut être une réponse. La capitalisation électorale est bien improbable et la prochaine échéance risque fort de se réduireau choix entre libéraux et l’illibéralisme avec les solutions autoritaires2.

    Le quinquennat ne peut continuer comme avant. Même si le mouvement connaît une pause ou un repli, il a ouvert une brèche dans le « il n’y a pas d’alternative » : il a mis fin dans l’immédiat à une période de démoralisation et d’impuissance. La plus grande défaite de Macron n’est pas d’avoir reculé, accordé des « 100€ » au SMIC ou la fin de la CSG pour une partie des retraités. Sa plus grande défaite est d’avoir du concéder les débats dans l’ensemble du territoire « autour de cinq thèmes qui sont au cœur de la vie quotidienne des Français » :

    « – Comment mieux accompagner les Français dans leur vie quotidienne pour se déplacer, se chauffer, isoler leur logement ?
    – Comment faire évoluer le lien entre impôts, dépenses et services publics pour mieux répondre aux besoins des Français ?
    – Comment faire évoluer l’organisation de l’État et des autres collectivités publiques pour les rendre plus proches des Français et plus efficaces ?
    – Que signifie être citoyen aujourd’hui ? Comment faire évoluer la pratique de la démocratie et de la citoyenneté ?
    – Quelles sont les attentes et les inquiétudes des Français relatives à l’immigration, dans un contexte de mondialisation et de laïcité parfois bousculée ? »Les deux derniers sont depuis fusionnés en un seul thème où se mêlent pratique de la démocratie, citoyenneté, liens de solidarité entre les français avec leurs attentes sur la « question migratoire » devant les réactions au sein même de la majorité.

    Bien sur c’est une manière de recomposer un nouveau rapport avec les corps intermédiaires, de neutraliser les contenus les plus subversifs des revendications populaires. Mais si la gauche est absente, si elle n’essaye pas de porter l’égalité et la démocratie, elle laisse le champ libre à Macron, elle laisse se reconstituer sans rien faire un bloc bourgeois qui peut prolonger la crise démocratique faute de réponses en termes de révolution démocratique.

    La question d’un rassemblement de notre gauche se pose aujourd’hui avec une insistance particulière : chacun de son côté ne peut espérer être en état de répondre aux interrogations que nous pose le mouvement des gilets jaunes, cultiver les identités de boutiques est incompréhensible dans un débat public national qui nécessité une voix commune pour être audible et sortir de l’image de récupération partisane. C’est donc ensemble qu’il faut intervenir dans les débats partout pour apporter ce que nous avons à dire sur ces différents thèmes et même sans doute pour cadrer autrement les questions posées.

    … Et nous aussi , nous avons des choses à dire sur la démocratie, sur la propriété, sur l’égalité, sur les droits sociaux politiques et culturels. Ne nous taisons pas.

    Etienne Adam

    1A ce titre il n’est pas radicalement contradictoire avec les solutions du RN qui pratique aussi – comme les régimes fascistes et nazis on su le faire- un certain partage des richesses sur le dos des capitalistes « apatrides » et des migrants ( il est d’ailleurs significatif de cette confusion idéologique de voir des militants de gauche partager des argumentaires d’extrême droite parce qu’ils paraissent anti-Macron ou anti-riches)

    2La crise de la représentativité n’affecte pas de la même manière le RN pour lequel aux élections il ne s’agit pas d’élire des représentants mais de légitimer une cheffe à qui les votants donnent les pleins pouvoirs pour agir à leur place

    #Gilets_jaunes #Démocratie