Philippe De Jonckheere

(1964 - 2064)

  • Soit le film plébiscité par excellence, Pupille de Jeanne Herry, et comment ne pas aimer un tel film dans lequel un nouveau-né sous X finit par trouver une très jolie maman célibataire après avoir connu les trois premiers mois de sa vie dans les bras robustes et aimants d’un parent d’accueil au physique de troisième ligne de rugby, mais avec un cœur qui bat fort ? Oui, vraiment, et j’imagine qu’il faudrait être vraiment de très mauvais esprit, et ne pas avoir de cœur, pour trouver à redire dans ce concert de louanges, cet hymne à la vie, ce mélo calibré dans lequel il y a, pour toutes et tous, un personnage dans les habits duquel on peut se couler facilement.

    Une certaine détestation, par dessus tout, du comédien Gilles Lelouch m’a sans doute sauvé de cette inévitable identification et, du coup, zut ! encore raté, mon sens critique n’était pas en panne pendant la projection de ce film. Et du coup ben oui, je retrouve à redire. De toute façon je n’ai pas de cœur.

    Je trouve que c’est quand même drôlement pratique cette misère sociale qui est pourtant la graine du récit et qui, obéissante, reste aux frontières du film. La jeune mère étudiante qui n’a pas de place dans sa vie pour cet enfant qu’elle met au monde sans péridurale (parce qu’elle arrive trop tard aux urgences, ça aussi bien pratique de pouvoir lui infliger les douleurs de l’enfantement) et qui disparaît vite fait mal fait à la septième minute du film, et, pareillement, les jeunes gens qui foutent le Bronx dans leur famille d’accueil pour bien montrer que notre troisième ligne à sa barbe de trois jours au cœur gros comme ça il s’en envoie quand même pas mal, tout ce désordre social qui est raccompagné à la porte de film à peine commencé, c’est drôlement pratique (la disparition de TOUS les enfants à problème dans cette famille d’accueil d’un coup d’un seul est une énigme scénaristique opaque). Et, donc, désormais, les cas sociaux raccompagnés à la porte, laissez-nous, personnes bien élevées, jolies femmes et hommes bien de leur personnes, changer le destin de ce bébé et la face du monde à notre manière de personnes bien élevées et responsables.

    Et tout baigne merveilleusement, des services sociaux remplis à craquer d’un personnel à la fois compétent et dévoué, une assistante sociale efficace (Clotilde Mollet réalise un numéro d’actrice formidable, l’assistante sociale est d’une justesse remarquable, presque trop parfaite, même Sandrine Kimberlain et Elodie Bouchez qui sont des comédiennes de haut vol ne tiennent pas la route face au personnage de l’assistance sociale) et admirablement compréhensive de la décision de la jeune mère de faire naître son enfant sous X, un assistant maternel qui vit dans la maison dont tout le monde rêve, vieille maison de pierres battue par les embruns au bord de falaises du Finistère et, à la fin, c’est la jolie femme brune séduisante qui remporte le pompon, si j’ose dire, c’est à elle que l’on confie l’enfant à la fois blanc et en bonne santé, l’adoption c’est merveilleux et tous les personnages du film sablent le champagne et c’est merveilleux. There is not a dry eye in the movie house comme dit je ne sais plus quel personnage de The Player de Robert Altman

    Alors je dois être vraiment un très mauvais coucheur, en plus de ne pas avoir de cœur, mais je n’ose imaginer dans quel monde idéal la réalisatrice de cette affaire a vécu de sa naissance à la réalisation de ce film ou quelles puissantes œillères elle a eu le loisir de porter pour réaliser ce film transpirant de bons sentiments qui ne dépassent jamais, dans leur coloriage, les traits et les pointillés impartis, à propos d’un tel sujet, l’accouchement sous X ?

    Et je dois dire que trouve admirable cette nouvelle vague de jeunes réalisateurs et réalisatrices françaises dont on devine sans mal donc, les enfances choyées et passées en partie à rêver l’existence des pauvres au point, plus tard, de devenir des réalisateurs et réalisatrices qui se piquent d’être engagées.

    Oui, engagées à droite toute et dans la plus pure tradition de la reconduction d’un modèle social dont on devine bien qu’ils et elles ont toujours été du bon côté du manche. Ce cinéma-là est le lieu de tous les impensés sociaux de droite. Et ils sont puissants.

    • « Et je dois dire que trouve admirable cette nouvelle vague de jeunes réalisateurs et réalisatrices françaises dont on devine sans mal donc, les enfances choyées et passées en partie à rêver l’existence des pauvres au point, plus tard, de devenir des réalisateurs et réalisatrices qui se piquent d’être engagées. »
      # Excellent