Peuples exposés (à disparaître)
Georges Didi-Huberman
▻https://www.cairn.info/revue-chimeres-2008-1-page-21.htm
Dans cette situation, le désespoir lucide — le « pessimisme », la « tristesse », dit simplement Benjamin — consistait à reconnaître que l’histoire lisible par le plus grand nombre est d’abord écrite par les vainqueurs, par cet « ennemi [qui] n’a pas fini de triompher » et dont le « butin » risque très vite d’être identifié avec tout « ce qu’on appelle les biens culturels. Mais Benjamin savait bien — et nous le savons aujourd’hui encore, s’agissant de notre propre contemporanéité — qu’en face ou en marge de cette « tradition des vainqueurs » qui nous ment, une moins lisible « tradition des opprimés résiste, survit et persiste. Tradition des peuples dont l’historien, le penseur comme l’artiste auraient pour charge, « à rebrousse poil », de réexposer l’exigence. Il me semble très probable que la situation de désespoir historique où se trouvait Benjamin quand il écrivit ces lignes conditionne en grande partie le paradoxe majeur de ses formulations pour une telle exigence.