ARNO*

Geek dilettante habitant une belle et grande propriété sur la Côte d’améthyste

  • Dans cette histoire de Ligue des merdeux, il y a un aspect qui me pose problème, et j’ai un peu de mal à le formuler. D’autant qu’il ne faudrait pas minorer la souffrance des victimes, l’aspect ordurier des meutes de mecs, et la connerie intrinsèque des rédactions de journalistes.

    Mais bon, au risque de mal exprimer mon idée, je me lance…

    L’aspect qui me gêne, c’est qu’on ne formule pas, en plus de tout ce qui se dit de très bien par ailleurs, le fait qu’on est sur des réseaux sociaux utilisés par de jeunes professionnels faisant leur personal branding. Ce qui est l’aspect qui me fait le plus chier sur les réseaux sociaux, sur lequel j’ai travaillé pour limiter ce personal branding en concevant Seenthis (notamment : présentation des « réponses » au même niveau que les messages du locuteur initial, et petit triangle indiquant qu’un lien a déjà été partagé par quelqu’un d’autre), et raison pour laquelle je pense que militer ou faire de la politique sur ces réseaux est une immense perte de temps.

    Alors évidemment, les comportements de meute et de harcèlement sont dégueulasses, mais en même temps je les vois comme une conséquence assez inévitable de ces réseaux dont la raison d’être est de se représenter en avatar publicitaire de soi-même. On y souffre en permanence, on y scanne la moindre remarque négative, parce que déjà initialement on est dans l’hyper-contrôle de l’image que l’on projette de soi.

    Je peine à le formuler correctement, mais il me semble que, s’il faut effectivement dénoncer la virilité toxique, la déshumanisation des dominé·es, la sélection toute particulière des écoles de journalisme, que sais-je encore, il faudrait aussi s’interroger sur ces formes de réseaux sociaux, entièrement tourné vers l’auto-promotion personnelle et professionnelle, où donc les enjeux sont devenus énormes pour chaque participant (en terme d’image de soi et aussi de carrière), alors même que ces formes ne sont pas les seules et qu’il faudrait s’interroger sur leur pertinence, à la fois en termes d’intérêt pour la collectivité, d’intérêt pour les militants politiques, mais aussi en terme de développement personnel.

    Parce que la version extrême de ces conneries, c’est de devenir une starlette du selfie sur Instagram. Pour moi, le personal branding des jeunes journalistes et militants sur Twitter et/ou Facebook, ce n’est jamais bien loin de cette logique. Où la moindre remarque négative devient une atteinte primordiale à ton image ; je doute que quiconque soit réellement préparé à cela, et je pense qu’il faudrait aussi savoir si, outre le comportement spécifique toxique des meutes de jeunes mecs, on n’est pas dans un modèle de réseau social où chacun adopte un comportement toxique, par la mise en place d’une publicité personnelle permanente, qui a accentué les effets de ces agressions.

    • Touchée par la justesse de ce que tu décris.
      J’ai volontairement flingué un compte facebook très suivi pour ça : une sensation assez malsaine de pouvoir « influencer ». Alors que je cherche juste à informer, à faire passer des des nuances, à montrer d’autres façons de voir...
      Et puis dans pouvoir influencer, il y a « pouvoir », et ça, au moment où nous tentions de questionner des choix faits par certaines personnes « influentes » quand à l’avenir de la zad et visibiliser leur prise de pouvoir, il a bien fallu que je m’y confronte. Ça fait toujours mal (puis du bien) de vérifier que si on ne résout pas en soi l’aspect « faire partie du problème », il est difficile d’envisager de faire partie de la solution...
      Pour ce qui me concerne, il me reste encore beaucoup beaucoup à apprendre sur le sujet, piégeant, de l’ego et du besoin de plaire, merci infiniment à toi de nous le rappeler par ce texte : il existe des outils et des réflexions pour éviter l’esprit de meute.
      <3

    • Sans vouloir enlevé du mérite à ton idée génial de seenthis, il y aussi d’autres outils que tweeter qui ont été utilisé. L’affaire de la ligue du lol en cache d’autres. Il y a par exemple le groupe « radio, bière, foot » du huffington post qui était un newsgroup et qui ne passait pas sur tweeter, mais par mail. Les femmes, personnes racisées et certains homos (surtout certaines, et plutot cis) y ont subit des discriminations, on leur donnait de fausses infos pour leur faire raté des réunions ou arrivé en retard sans les infos, et on se faisait tourner des montage photos racistes, sexistes, putophobes... Cette fois ci c’était pas du harcelement en meute via les réseaux, mais des humiliations entre collegues mecs qui se font des blagues à base de porno pour évincé les femmes, leur faire baisser leurs salaire, leur faire obstacle professionnelement, un peu comme ca se passe habituellement un peu partout et qui fait que les femmes sont effacées, harcelées, sous payées.... Le réseau social type tweeter, facebook ont l’inconveignant de décuplé l’effet de masse du harcelement mais ils ont l’avantage de laisser des traces pour retrouver les harceleurs comme on le voie ici.

    • Toute communication adressée non anonymement implique d’autant plus d’auto-censure qu’elle atteint des inconnus. Cette dernière rend nécessaire une analyse ("tourner 7 fois sa langue...") propice à diverses formes de calculs (se soucier d’autopromotion, donc de complaire et de ne pas se faire d’ennemi...) menant à du groupthink. ¿’ ValK. a raison, nuancer réduit le risque. Toutefois rien ne nous y invite (peu de lecteurs peuvent/veulent « investir » de leur temps afin de lire un propos nuancé (un « pavé »), limitation de la taille d’une intervention (280 caractères de Twitter)...). D’autre part la pérennité des interventions a facilité voire permis les récentes mises en accusation de "LOL"istes, or nombre de vecteurs proposent à présent de publier une intervention éphémère ("snaps" Snapchat et autres « stories »), ce qui ouvre les vannes de ce genre de LOL en cela que constituer une preuve devient plus difficile et coûteux, et que cette évanescence même n’invite pas à investir lors de la rédaction, donc à ménager les lecteurs comme les tiers, à nuancer...

    • Je partage largement tes remarques !

      Je pense qu’il faudrait aussi les prolonger avec un regard critique sur le fonctionnement des entreprises qui valorisent cette capacité de personal branding comme une compétence, comme une capacité à être dans l’époque...

      Je me souvient d’un truc un peu caricatural de la boite qui était derrière OWNI et qui dans son profile pour recruter des gens mettait « forte présence en ligne » il suffisait d’être « présent », pas de savoir ce que tu racontais ou ce que tu faisais.