• Le non-sujet de l’antisémitisme à gauche - Vacarme
    https://vacarme.org/article3210.html

    L’antisémitisme ne fait pas à proprement parler partie des fractures de la gauche radicale. Les positionnements sur cette question varient peu d’une organisation de gauche à l’autre. Au contraire, celles-ci ont souvent en partage un désinvestissement de ce thème perçu comme secondaire voire négligeable, relativement à d’autres formes de racialisation. Plutôt qu’une fracture, c’est donc davantage un silence qu’il s’agit d’interroger ici, en plaidant pour une critique radicale de l’antisémitisme à l’heure où celui-ci a des effets pratiques et idéologiques jusque dans les formes que prennent certaines luttes sociales [1].

    Pour nombre d’organisations de la gauche radicale et de l’antiracisme français, l’antisémitisme contemporain n’est pas une question. Plus précisément, les pratiques et les discours qui ciblent des (supposés) juifs tenus pour responsables de maux politiques, économiques ou sociaux n’attirent souvent l’attention que dans la mesure où cet antisémitisme est instrumentalisé par des politiciens ou intellectuels réactionnaires.

    Il ne s’agit pas de nier l’existence d’une telle instrumentalisation. On assiste, depuis une vingtaine d’années, à la multiplication de discours sur une « nouvelle judéophobie » qui construisent l’image d’une « extrême-gauche » ou de « jeunes de quartiers » antisémites parce qu’antisionistes ou musulmans [2]. Pourtant, face à cette instrumentalisation, les organisations de la gauche radicale ou de l’antiracisme politique [3] ne s’enquièrent que rarement de la réalité de l’antisémitisme dans la période actuelle et faillissent souvent à développer leur propre critique des actes et de la symbolique antisémites. Ces organisations forgent plutôt diverses justifications d’une position de principe : l’antisémitisme ne serait une question que pour les défenseurs et les idéologues de l’ordre existant. L’antisémitisme contemporain devient ainsi une question que l’on ne doit tout simplement pas poser en tant que révolutionnaire et/ou antiraciste [4]. À l’heure actuelle, l’antisémitisme dans la gauche française est moins une ligne de fracture délimitant différentes positions que l’objet d’un silence. C’est ce silence que nous allons tenter de décrire et décrypter ici.

    #antisémitisme #gauche #complotisme

    • L’antisémitisme n’est pas tant une fracture de la gauche que l’objet d’un silence, source de malaise pour les juifs en milieu « progressiste ». Dans la lignée de la thématisation douloureuse du racisme structurel accomplie par l’antiracisme politique au cours des années 2000 et 2010, le travail de « fracturation » autour de l’antisémitisme, avec tous les déchirements qu’il implique, reste à faire. À rebours du cas allemand où une large partie de la gauche s’enfonce de plus en plus dans une islamophobie voire xénophobie assumée au nom de lutte contre l’antisémitisme, un tel travail de problématisation devra s’insérer dans une confrontation plus large avec l’ensemble des processus de racialisation des sociétés capitalistes occidentales. Cela nécessiterait de se pencher à la fois sur la spécificité de la racialisation des juifs et la manière dont celle-ci fonctionne conjointement avec d’autres formes de racisme au sein de la totalité sociale. [...S]ous les conditions actuelles d’un regain de l’antagonisme social et d’expressions d’antisémitisme de plus en plus ouvertes, faire de ce dernier un enjeu des luttes antiracistes est une tâche politique des plus urgentes.

      #antiracisme