Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Pourquoi la levée de l’anonymat sur Internet ne mettra pas fin aux délits en ligne
    https://www.marianne.net/societe/pourquoi-la-levee-de-l-anonymat-sur-internet-ne-mettra-pas-fin-aux-delits-

    Un anonymat déjà très relatif

    Le levée de l’anonymat, une mesure miracle ? Renseignements pris, pas si sûr. Dans les faits, il s’agit déjà d’une notion très relative sur internet. Hormis quelques hackeurs insaisissables, l’immense majorité des internautes, qui sèment des petits cailloux à longueur de navigation, sont déjà traçables sur internet et peuvent être retrouvés, à condition de s’en donner les moyens. « Les gens qui le veulent peuvent se rendre plus difficilement traçable sur internet, mais ce n’est pas pour tout le monde, ce n’est pas à la portée du petit apprenti djihadiste », nous confirme Stéphane Bortzmeyer, ingénieur en réseaux informatiques. Ne laisser aucune emprunte en ligne relève, selon ce militant des libertés sur internet, de la gageure. « L’anonymat sur internet, ça revient au mode de pensée d’un espion en territoire ennemi, à la moindre erreur, vous êtes démasqué. Ça demande une mentalité paranoïaque. »

    Anonymat = violence ? Une idée reçue

    Hélas, allouer des moyens supplémentaires pour permettre à la police de retrouver les délinquants du web, et aux tribunaux de les condamner, n’aurait rien d’une solution miracle mettant fin à la haine sur la toile. En effet, le secret de l’identité civile sur internet ne semble pas corrélé avec le fait d’être plus ou moins violent en ligne. « Ce n’est pas le pseudo qui va faire le comportement déviant », insiste Lucile Merra. « Ces comportements violents préexistent à Internet. (…) Cela relève d’un comportement malsain de certains individus au sein de leur environnement social. »

    Une étude de juin 2016, publiée par équipe de chercheurs de l’Université de Zurich, tend à montrer que dans le contexte d’une polémique en ligne, l’anonymat ne démultiplie pas systématiquement l’agressivité des internautes. Au contraire, sur les 532197 commentaires analysés, tous postés sur une plateforme de pétitions en ligne allemande entre 2010 et 2013, les internautes écrivant sous leurs véritables identités étaient plus agressifs que ceux recourant à l’anonymat. La même année, une étude de l’université d’Etat du Michigan a également montré que, selon les données compilées dans 16 études scientifiques sur la question, les individus « sont en fait plus sensibles aux normes collectives d’un groupe lorsqu’ils sont moins identifiables par les autres membres de ce groupe ».

    L’idée selon laquelle le fait de se cacher derrière un avatar confèrerait aux internautes un sentiment d’impunité, qu’ils se penseraient alors invulnérables et profiteraient de la situation pour se livrer à un certain nombre de dérives, tiendrait ainsi de l’idée reçue. « Le sentiment d’impunité tient plus à qui vous êtes et d’où vous parlez qu’au fait que vous le fassiez sous pseudonyme. Un homme blanc éduqué pourra par exemple se sentir davantage autorisé à tenir certains propos », avance Stéphanie Wojcik, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Est Créteil. Tristan Nitot, auteur du livre Surveillance, les libertés au défi du numérique, abonde en ce sens : « Le discours de haine ou le harcèlement surviennent quand ils sont considérés comme socialement acceptables, voire fédérateurs, au sein d’un groupe qui partage les mêmes opinions. » Le vice-président du moteur de recherche français Qwant pointe en outre une « inconscience » des internautes. "Je pense que le premier facteur du sentiment d’impunité, c’est le rapport au numérique, perçu à tort comme un domaine « virtuel », plutôt que le fait de porter un pseudonyme", explique-t-il. « Dans un café, je suis inconnu, anonyme, et pourtant je ne tiens pas de discours haineux. A l’inverse, les membres de la Ligue du LOL ne portaient pas de pseudonyme pour la plupart. »

    Une voie royale pour les Gafam

    Cependant, donner voix au chapitre aux géants du web sur ces questions, notamment en leur fournissant davantage d’éléments concernant l’identité de leurs utilisateurs, ne va pas sans de vives inquiétudes. Stéphane Bortzmeyer s’alarme du pouvoir exorbitant qui serait entre les mains de ces structures : « Les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ont déjà trop d’informations, et on veut en faire les auxiliaires privés de l’Etat dans le contrôle des identités en ligne ! L’obsession du contrôle de l’internet mène à oublier à quel genre de sociétés on veut confier notre surveillance. On ne peut pas reprocher à Facebook de collaborer avec le gouvernement chinois pour contrôler qui fait quoi, si on fait la même chose chez nous. »

    Pour ces raisons, la « levée progressive de toute forme d’anonymat », tel qu’Emmanuel Macron l’avait initialement envisagé, a de quoi faire frémir quant aux rôles de ces entreprises privées, expose Tristan Nitot. « Aujourd’hui, sur Facebook, de nombreuses personnes se sont exprimées sur les gilets jaunes. Chacune a été identifiée, ça se fait automatiquement, par des robots qui analysent les données et des algorithmes de deep learning. Le métier de Google, c’est de tout savoir sur vous. Facebook ou Google sont conçus, structurellement, pour offrir un ciblage très fin à des annonceurs, c’est leur modèle commercial. Que vous ayez un pseudonyme ou non, on pourra vous cibler sur internet. Or, la question des identités appartient à l’Etat, pas aux entreprises. »

    Si le projet de loi qui sera présenté en mai prochain n’est que la première étape de cette « levée progressive » de l’anonymat, le poids des Gafam ne sera que l’un des problèmes qui se posera aux citoyens. Ne plus pouvoir se cacher sous un pseudonyme est loin d’aller soi en matière de liberté d’expression. « Si on va vers l’interdiction de l’anonymat, on va vers beaucoup plus de discrimination, avec des gens au statut social particulier - policiers, professeurs, hauts fonctionnaires ou anciens détenus - médiatisés ou non, qui pourraient devenir victimes de harcèlement, voire mis au ban de groupes sociaux », nous détaille Maryline Laurent, professeur à Telecom sup Paris et auteur du livre La gestion des identités numériques.

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