Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • La théorie de l’esprit : aspects conceptuels, évaluation et effets de l’âge | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2011-1-page-41.htm#

    En neuropsychologie, le concept de théorie de l’esprit (Theory of Mind en anglais [ToM]) désigne la capacité mentale d’inférer des états mentaux à soi-même et à autrui et de les comprendre. L’expression de « théorie de l’esprit » ne désigne donc pas une théorie psychologique mais une aptitude cognitive permettant d’imputer une ou plusieurs représentations mentales, par définition inobservables, aux autres individus. Le principe de base étant celui de l’attribution ou de l’inférence, les états affectifs ou cognitifs d’autres personnes sont déduits sur la base de leurs expressions émotionnelles, de leurs attitudes ou de leur connaissance supposée de la réalité. La ToM est référencée dans la littérature sous différentes acceptions telles que « mentalizing » (mentalisation [1, 2]), « mindreading » (lecture d’états mentaux [3]), « perspective-taking » (prise de perspective [4]), « empathy » (« empathie » [5]) ou encore « social understanding » (compréhension sociale [6]). Cette aptitude nous permet de prédire, d’anticiper et d’interpréter le comportement ou l’action de nos pairs dans une situation donnée. Elle est indispensable à la régulation des conduites et au bon déroulement des interactions sociales. La ToM fait partie intrinsèque de la cognition sociale qui mobilise un ensemble de processus mentaux tels la perception de soi et des autres et l’utilisation des connaissances sur les règles régissant les interactions interpersonnelles pour décoder le monde social [7]. Dans cet article nous proposons une synthèse des connaissances théoriques sur la ToM, guidés par deux questions principales : comment en aborder l’étude en neuropsychologie ? Quels sont les effets de l’âge sur cette aptitude cognitive de haut niveau ?

    La ToM est une capacité de métacognition : avoir conscience et se représenter l’état mental d’une autre personne revient à construire une métareprésentation. Alors que la représentation renvoie à une perception directe de l’environnement, la métareprésentation est une représentation d’une représentation. La ToM permet ainsi d’avoir des pensées concernant les pensées d’autrui et de raisonner sur ce que l’autre croit, feint ou ressent. Elle suppose un circuit relationnel, impliquant une reconnaissance cognitive et/ou émotionnelle de soi-même et d’autrui actualisée dans l’échange [13]. De nature cognitive ou affective, de premier ou de deuxième ordre, elle implique des processus de décodage ou de raisonnement sur des états mentaux.

    Évaluation : les paradigmes expérimentaux

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    Plusieurs épreuves ont été élaborées afin d’évaluer la ToM. Stone et al.[25] ont proposé de classer ces épreuves en trois catégories, selon la nature épistémique, affective ou volitionnelle des états mentaux mis en jeu.
    Les tâches d’attribution d’états mentaux épistémiques

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    Les tâches d’attribution d’états mentaux épistémiques se fondent sur l’inférence d’états mentaux cognitifs tels que des pensées, des croyances ou des connaissances qu’un ou plusieurs personnages ont sur le monde. Elles sont généralement présentées sous forme d’histoires mettant en jeu plusieurs protagonistes et sont construites sur la base du paradigme de fausse croyance [18]. Dans ce paradigme, le sujet doit inférer l’état mental d’un personnage qui a une croyance erronée d’une situation car non conforme à la réalité. Le paradigme des fausses croyances est principalement utilisé pour évaluer la ToM cognitive et cela à différents niveaux (1er ordre et 2e ordre). Dans le cas d’une fausse croyance de 1er ordre, le sujet doit déterminer la représentation mentale d’un personnage (figure 3A) alors que dans celui d’une fausse croyance de 2e ordre, il doit inférer la représentation mentale qu’un personnage a de celle d’un autre personnage (figure 3B). Afin d’évaluer la compréhension de l’histoire, des questions se référant à la réalité sont associées à ce paradigme.
    Figure 3
    Figure 3
    Les tâches d’attribution d’états mentaux affectifs

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    Les tâches d’attribution d’états mentaux affectifs utilisent principalement des photographies ou des vidéos de visages ou de la région des yeux [26, 27]. La tâche du sujet consiste à choisir parmi plusieurs adjectifs proposés, celui qui qualifie le mieux l’émotion exprimée par un visage ou un regard. Deux types d’expressions émotionnelles sont généralement distingués : celles d’émotions « de base » et celles d’émotions « complexes » ou « sociales ». Les émotions de base, au nombre de six (joie, surprise, colère dégoût, peur et tristesse), sont des expressions affectives universelles, transculturelles et probablement sous-tendues par des mécanismes innés. Elles sont traitées automatiquement et peuvent s’interpréter en dehors du contexte. En revanche, les émotions complexes caractérisent un état émotionnel illustrant soit une expression cognitive (par exemple pensif, fatigué, interrogatif…), soit des émotions sociales (par exemple charmeur, conspirateur, coupable, amical…) qui dépendent nécessairement d’une situation interpersonnelle particulière [28]. Les émotions complexes ne seraient pas entièrement prédéterminées et leur interprétation correcte ne pourrait se faire que dans les interactions avec les autres individus [29]. Par conséquent, le traitement de ce type d’expressions émotionnelles requiert des processus de réflexion et de raisonnement. Des histoires peuvent aussi être utilisées pour mesurer la ToM affective [4]. Elles se fondent sur le même principe que les histoires évaluant la ToM cognitive mais la tâche du sujet consiste dans ce cas à inférer ou attribuer précisément l’émotion ressentie par un personnage placé dans un scénario social.
    Les tâches d’attribution d’intention

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    Les tâches d’attribution d’intention demandent d’inférer l’intention ou le comportement à venir de personnages d’une histoire présentée le plus souvent sous forme de vignettes ou séquences d’images [32]. À la place des personnages, des formes géométriques [30] ou des parties du corps en mouvement [31] peuvent également être utilisées. La tâche la plus connue est celle de Brunet et al.[33] dont l’objectif est de déterminer la fin logique d’une histoire mettant en scène un personnage affichant l’intention de réaliser une action (regarder une pâtisserie avec envie et vérifier que l’on a assez d’argent pour l’acheter). Deux conditions contrôles invitent le sujet à déterminer la fin logique de l’histoire, l’une avec des personnages sans intention particulière, l’autre avec des objets.
    Les tâches mixtes

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    Au-delà de cette classification, d’autres tâches, plus complexes, combinent plusieurs dimensions de la ToM. Le test du faux pas social[25] exploite la notion de maladresse sociale : un protagoniste évoluant dans une situation sociale particulière a un comportement inadapté ou tient des propos inappropriés et ce, sans réaliser la portée de ce qu’il a dit ou fait (dire à une amie dont l’appartement a été entièrement rénové que ses rideaux sont laids et qu’elle devrait en acheter de nouveaux). Le test du faux pas nécessite d’intégrer les composantes cognitive et affective de la ToM, puisqu’il faut comprendre que le discours d’une personne est déplacé (ToM cognitive) et blessant ou insultant pour son interlocuteur (ToM affective). La tâche de Yoni, proposée par Shamay-Tsoory et al.[2] repose sur l’inférence de l’état mental d’un personnage présenté visuellement, avec pour indice son expression faciale, la direction de son regard et une phrase à compléter. Cette tâche a la particularité de combiner ToM cognitive et affective, ToM de 1er ordre et de 2e ordre (pour détails voir [2]).

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