• Des « stéréotypes » et un « cercle vicieux » : le casse-tête de la mixité des métiers
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    En 2018, seuls 17% des métiers étaient considérés comme mixtes par le Centre d’Information et Documentation Jeunesse (CIDJ). Un enjeu pourtant capital pour l’égalité des sexes au travail.

    Des femmes surreprésentées dans les métiers peu qualifiés, et largement minoritaires dans l’informatique ou la recherche ? Intuitif, le lieu commun est loin d’appartenir au passé selon les derniers chiffres du Centre d’Information et Documentation Jeunesse (CIDJ). Les exemples ne manquent pas : dans le domaine du numérique, les femmes représentent ainsi moins d’un quart des employés (15%). L’écart est encore plus marqué dans l’industrie automobile, où les jeunes apprenties ne représentent que 7% des effectifs. Mais lorsque l’on prend en compte l’ensemble des professions, le diagnostic se confirme dans des proportions méconnues : selon le CIDJ, dépendant du ministère de la Jeunesse et des Sports, la part de métiers mixtes en France s’élève à seulement… 17% en 2019. Le constat, accablant, sera l’un des thèmes abordés au forum ELLE active dont Europe 1 est partenaire, vendredi et samedi à Paris. L’occasion de revenir sur ses origines et ses répercussions.
    Qu’est-ce qu’un métier mixte ?

    Une profession est dite « mixte » lorsque les femmes et les hommes représentent entre 40% et 60% de ses effectifs. Les écarts sont particulièrement importants dans des secteurs industriels comme l’agroalimentaire ou la plasturgie, où les femmes ne représentent qu’environ un tiers des effectifs. En 2016, seules 11,6% des employés du BTP étaient des femmes.

    « Un garçon peut être infirmier, mais pas moi ». Au global, la proportion est en légère hausse : en 2014, seuls 12% des métiers étaient mixtes selon la ministre de l’Éducation de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem - le gouvernement s’était donné l’objectif de relever cette proportion à 30% en 2025. « Au travail, c’est le talent qui compte », proclamait alors une campagne nationale de communication mettant en scène un homme auxiliaire de puériculture, une femme boucher, ou une autre mécanicienne. Plusieurs plans gouvernementaux ont depuis été lancés pour tenter de résorber d’importants écarts dans des secteurs précis, comme celui des transports - les chauffeurs routiers ne comptaient que 3% de femmes en 2014 - et des armées - 15,5% de femmes.

    Pour quels résultats ? Une vision incontestablement moins stéréotypée selon Valérie Deflandre, conseillère d’orientation au CIDJ. « Quand nous recevons de jeunes gens, ils n’ont pas de mal avec la mixité des métiers : à les entendre, tout le monde peut tout exercer aujourd’hui », explique-t-elle à Europe 1. Et de nuancer immédiatement : « C’est quand on se met à parler d’eux personnellement, de leurs choix, de la manière dont ils se projettent, que l’approche devient différente. Un garçon peut être infirmier, oui, mais pas moi. »

    Au contact des lycéens, la spécialiste estime récolter les fruits d’une socialisation « genrée dès la naissance » : « on n’interprète pas les pleurs d’une fille ou d’un garçon de la même manière. On n’attend pas d’un garçon qu’il ait la même façon de parler, on ne lui propose pas les mêmes jouets dans les magasins. Un enfant, dès trois ans, a su repérer ce que faisaient les filles, et ce que faisaient les garçons. Tout part de là. »

    « Une fois sur le terrain, comment je vais être acceptée ? ». Les conseillers d’orientation constatent à ce titre des approches différentes selon les sexes. « Si on présente un métier à majorité féminine à un garçon, son premier réflexe va souvent être de dire : ’dans mon lycée, il y a cette filière, mais il n’y a que des filles’ », souligne Valérie Deflandre. « Les filles ont, elles, plus d’affranchissement pour aller vers une filière scientifique si elles ont de bonnes notes en maths et en physique. Mais elle raisonnent déjà en termes d’insertion professionnelle. Elles demandent : ’une fois que je serai sur le terrain, comment je vais être acceptée au sein d’équipes très masculines ?’ ». Si elles représentent 47% des bachelières en série S, les filles ne sont ainsi que 27% au sein des promotions d’écoles d’ingénieurs.

    Au moment de ces choix, la crainte du harcèlement à l’université ou au travail peut-elle déjà peser ? Alors que le mouvement #MeToo a libéré la parole des femmes dans plusieurs entreprises, de grandes écoles, comme la prestigieuse prépa du lycée militaire de Saint-Cyr, ont récemment été éclaboussées par des scandales sexistes. « Je n’ai pas souvenir d’inquiétudes précises » de jeunes femmes choisissant leur orientation, répond Valérie Deflandre, reconnaissant volontiers l’existence d’un « cercle vicieux » : moins rapidement la mixité progresse, plus il est difficile d’éradiquer certains comportements sexistes. En 2018, à l’occasion de la présentation d’une étude du Syndicat national du jeu vidéo à l’Assemblée nationale, une conceptrice de ce milieu traditionnellement masculin abondait : « il faut faire en sorte qu’elles (les femmes, ndlr) y restent (dans le secteur, ndlr), en instaurant un climat ’safe’ dans les entreprises, pour éviter de reproduire l’ambiance ’vestiaires’ qui y règne. »

    La moitié des médecins, mais seulement un tiers des chirurgiens. Sur le front de l’emploi, ces stéréotypes « coupent » en outre les jeunes, femmes comme hommes, de métiers porteurs. Dans l’informatique et le numérique, premier secteur recruteur de cadres selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), moins de 30% des postes sont aujourd’hui occupés par des femmes. A l’inverse, le secteur des services à la personne, première famille créatrice d’emplois selon le rapport des métiers en 2022, ne salarie qu’environ 10% d’hommes. Dans les cursus universitaires où la proportion tend à s’équilibrer, les choix restent finalement genrés : près de la moitié des médecins sont des femmes, mais cette proportion tombe à un tiers chez les chirurgiens. La spécialité la plus féminisée reste de loin la pédiatrie, avec près de 70% de femmes.

    « Les clichés sont tellement ancrés que la tâche est parfois complexe », reconnaît Valérie Deflandre, qui souligne que les différentes campagnes d’information misant sur l’identification vont « dans le bon sens » : « les jeunes filles qui viennent avec une demande sur un métier plutôt masculin ont souvent eu un exemple autour d’elles : une cousine, une professionnelle, un forum, etc ». Au quotidien, la conseillère d’orientation travaille à recentrer les jeunes sur leurs aspirations profondes : « on apprend à se connaître, à dire ce qu’on aime, comment on fonctionne. Et puis, petit à petit, on parvient parfois à leur faire se dire : ’ce n’est pas un métier auquel j’aurais pensé, mais il m’irait bien.’ » Des victoires au cas par cas, mais insuffisantes au global. « Ce ne sont pas les professeurs, au moment des conseils de classe, qui vont déconstruire des années d’éducation », pointe la spécialiste. « On doit mettre en situation les enfants dès la maternelle, avec les bons outils. C’est tout un travail préventif qu’il faut accélérer. »