• Shlomo Sand : « Je n’ai pas cessé d’être historien en devenant romancier »
    14 avril 2019 Par Thomas Cantaloube
    https://www.mediapart.fr/journal/international/140419/shlomo-sand-je-n-ai-pas-cesse-d-etre-historien-en-devenant-romancier?ongle

    (...) On dirait presque qu’avec La Mort du Khazar rouge vous avez écrit votre autobiographie !

    Shlomo Sand : J’ai combiné plusieurs choses : mes rapports avec l’Histoire, mes positions politiques sur Israël, avec le suspense, l’énigme et certains personnages très israéliens. J’ai mis de moi-même dans les trois principales figures de mon roman : le policier arabe Emile Morkus, le professeur assassiné Yitzhak Litvak et son assistante Gallia Shapira. L’origine de ces trois personnages est réelle.

    Ce sont des personnes ayant existé ou encore vivantes, mais ce sont un Arabe, un homosexuel et une femme. Je ne suis aucun des trois, mais j’ai essayé de ressentir les trois par mon écriture. Même le vrai méchant, j’essaie de le comprendre. Il a assisté aux massacres de Sabra et Chatila en 1982 au Liban, qui continuent de le hanter. Il a une expérience de guerre proche de la mienne. J’ai participé à la guerre de 1967 quand j’avais 20 ans et c’était traumatisant. Puis, lors du premier service que j’ai fait après (on fait 40 jours par an lorsqu’on est réserviste), j’ai assisté à la torture d’un vieil Arabe. Je n’y ai pas participé moi-même, mais je l’ai vu faire par des amis de combats. Et j’ai essayé de transmettre ce sentiment pervers.

    Pourquoi avoir choisi le terrain de la fiction, vous qui avez déjà écrit de nombreux essais ?

    Je n’ai pas cessé d’être historien en devenant romancier. Tout d’abord, je me suis retrouvé à l’hôpital, sans archives, sans bibliothèque et je voulais écrire car j’étais désespéré. Ensuite, la liberté. La fiction, c’est à la fois plus facile et plus difficile qu’une écriture universitaire historiographique. Plus facile parce que je n’ai pas tout le temps besoin de rechercher dans mes notes pour être précis. L’Histoire pour moi a toujours été une fiction avec des notes de bas de page. Or, je voulais me débarrasser de cela. Dans la fiction, je ne me détache pas de la réalité, mais je me sens beaucoup plus libre.

    L’écriture de fiction est aussi plus difficile parfois : il m’arrive des fois d’être bloqué. En tant qu’historien, j’ai toujours quelque chose à quoi me raccrocher. Mais, paradoxalement, j’ai eu l’impression de moins bluffer dans le roman que dans mes essais. Je ne devrais pas le dire (rires) ! Je ne crois pas que l’écriture historique soit la vérité. Il y a des textes qui sont plus ou moins proches de la réalité passée, mais, dans l’histoire nationale en Israël, je pense que la plupart des textes historiques sont très éloignés de ce que qui s’est déroulé. Ce sont des constructions imaginaires. (...)