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Fauteuse de merde 🐘 @Monolecte@framapiaf.org

  • Vanessa Codaccioni : « Maintenant, beaucoup de gens savent ce qu’est la rĂ©pression » - Radio Parleur
    ▻https://radioparleur.net/2019/05/03/codaccioni-repression

    À notre micro, elle identifie les tactiques et les techniques mises en place par le pouvoir politique face aux mobilisations. La politiste dĂ©cortique ces principaux dispositifs et Ă©claire l’une de leurs logiques majeures : la sĂ©mantique. Le vocable mis en Ɠuvre par la communication gouvernementale pour qualifier les manifestants – de « vandales » Ă  « foule haineuse » – vise Ă  vider leurs actions de leur substance. AssimilĂ© au terrorisme ou Ă  la criminalitĂ© de droit commun, l’activisme se retrouve dĂ©politisĂ©. Le ministre de l’IntĂ©rieur Christophe Castaner dĂ©clarait ainsi devant le SĂ©nat, le 19 mars 2019 : « Ceux qui ont manifestĂ© samedi et qui ont cassĂ© n’ont aucune revendication, si ce n’est celle de faire tomber la RĂ©publique. »

    Dans le mĂȘme temps, cette croisade langagiĂšre vise Ă  remettre en cause la rationalitĂ© des militant.es. Le « casseur » est dĂ©crit dans le langage Ă©tatique comme animĂ© uniquement par la haine et la volontĂ© de dĂ©truire, brĂ»ler, tuer, dĂ©passant largement les frontiĂšres de la raison. Mais attention, prĂ©vient Vanessa Codaccioni, mĂȘme le plus grotesque, le plus absurdement nihiliste de ces individus ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme fou. Car aux yeux de la justice française, le fou est celui qui n’est pas responsable de ses actes. Or c’est Ă  l’exact opposĂ© qu’appelle les responsables politiques, exigeant de fermes condamnations par la justice des activistes. Irrationnel mais pas fou : une psychologisation des manifestant.es qui efface la dimension Ă©minemment politique de leurs actes.

    ▻https://file.ausha.co/ep0VKh8EGLL52zMcXC60R6Gui10OhRtTq3LnSfgm.mp3

    • Copier-coller de la lettre d’info de @paniersalade reçue hier :

      Interview

      Vanessa Codaccioni est chercheuse en sciences politiques Ă  l’UniversitĂ© Paris-8. Elle est spĂ©cialisĂ©e dans la justice pĂ©nale et la rĂ©pression. Elle a publiĂ© en avril RĂ©pression, l’État face aux contestations politiques chez Textuel. Dans le livre, elle revient sur la criminalisation de l’action politique et la dĂ©politisation de l’activisme. Elle a rĂ©pondu Ă  nos questions.
      Le Panier Ă  salade : Ces derniĂšres semaines, des militant·es « dĂ©crocheurs » ont Ă©tĂ© jugé·es Ă  Bourg-en-Bresse (Ain) pour « vol en rĂ©union et par ruse », un militant animaliste qui filmait un Ă©levage de porcs a Ă©tĂ© condamnĂ© pour « violation de domicile » et des pompiers qui manifestaient pour « entrave Ă  la circulation ». Qu’illustrent ces exemples rĂ©cents ?

      Vanessa Codaccioni : Il y a une invisibilisation du combat politique. Aujourd’hui, on constate une multiplication des formes de rĂ©pressions. Dans de nombreux procĂšs – notamment en comparution immĂ©diate, le plus important ce sont les infractions reprochĂ©es : de quoi sont accusĂ©es les personnes mises en examen ? Elles sont jugĂ©es pour des dĂ©lits de droit commun : outrages, diffamation, exhibition sexuelle
 L’aspect politique des gestes sanctionnĂ©s n’est pas reconnu.

      Lors du procĂšs des « DĂ©crocheurs », si le juge a laissĂ© un espace Ă  la revendication politique, il a refusĂ© en revanche les tĂ©moignages de chercheurs et associatifs. Quelle est la place de l’engagement politique au tribunal ?

      VC : Aujourd’hui, les procĂšs ne peuvent plus ĂȘtre une tribune politique ; les juges ne reconnaissent plus la parole politique. La plupart des militant·es sont jugé·es en comparution immĂ©diate – 29 minutes d’audience en moyenne, sans vraiment le temps de prĂ©parer sa dĂ©fense – ou au tribunal correctionnel, qui est le tribunal des petites affaires.

      Si dans les tribunaux correctionnels, les peines sont plus lĂ©gĂšres, il y a cependant une impossibilitĂ© d’en faire une tribune politique. Ces procĂšs ne permettent pas de faire des dĂ©clarations politiques, ils n’autorisent pas les avocats Ă  plaider en longueur ou comme ils le souhaiteraient, ou encore Ă  faire dĂ©filer des tĂ©moins. Les dĂ©filĂ©s de tĂ©moins ont toujours Ă©tĂ© importants dans les procĂšs politiques. En cour d’assises ou en tribunal spĂ©cial, l’exercice serait plus simple, mais les peines y sont plus lourdes.

      Plusieurs voix se sont Ă©levĂ©es pour rĂ©clamer une amnistie des « Gilets jaunes ». Le premier ministre s’y est opposĂ©. Mais la correctionnalisation des actions politiques n’aide pas non plus Ă  une telle amnistie.

      VC : Le prĂ©sident de la RĂ©publique pourrait faire une amnistie sociale. Cependant, ça voudrait dire qu’il reconnaĂźt que les actes des manifestant·es sont des actes politiques. Et tout le jeu du gouvernement a Ă©tĂ© de diviser entre les bons manifestant·es d’un cĂŽtĂ©, et « les casseurs » de l’autre.

      En plus, comme il n’y a pas de dĂ©lit politique comme on l’a vu, l’amnistie deviendrait complexe Ă  mettre en Ɠuvre. Il faudrait dĂ©finir l’un aprĂšs l’autre les dĂ©lits qui seraient amnistiĂ©s.

      La journĂ©e « Ripostons Ă  l’autoritarisme » rassemblait des militant·es d’horizon diffĂ©rents, des quartiers populaires Ă  Bure (Meuse) en passant par les « DĂ©crocheurs ». La plupart d’entre eux a expliquĂ© qu’ils passaient plus de temps Ă  parler de leur dĂ©boires judiciaires et policiers que de leur cause.

      VC : C’est prĂ©cisĂ©ment ce que j’explique dans mon livre. La stratĂ©gie de l’État, c’est que la rĂ©pression force les militants Ă  dĂ©penser toute leur Ă©nergie et tout leur argent dans leur dĂ©fense judiciaire. Quitte Ă  avoir moins de temps pour la cause pour laquelle ils et elles se battent. C’est un des effets de la rĂ©pression.

      Vous avez Ă©galement travaillĂ© sur la question de la lĂ©gitime dĂ©fense. Le procureur de la RĂ©publique Ă  Paris, RĂ©my Heitz, a annoncĂ© qu’en cas d’usage illĂ©gitime de la force, des policiers seraient poursuivis. Cela a suscitĂ© une levĂ©e de bouclier du cĂŽtĂ© des syndicats.

      VC : C’est trĂšs compliquĂ© de juger des policiers aujourd’hui ; la plupart ne le sont pas. Et lorsqu’ils le sont, ils bĂ©nĂ©ficient de verdict de clĂ©mence. C’est Ă  dire soit des non-lieux, des acquittements ou des peines de prison avec sursis.

      Les forces de l’ordre, et notamment les syndicats de police, souhaiteraient, en plus, qu’il n’y ait aucune procĂ©dure judiciaire contre un policier. Un policier qui tue ne devrait pas ĂȘtre jugĂ©, selon eux.

      Ils ont une revendication forte en faveur la prĂ©somption de lĂ©gitime dĂ©fense. Ils seraient ainsi dĂ©clarĂ©s en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense, jusqu’à ce qu’on prouve le contraire. Pour l’instant, c’est au policier de montrer qu’il a agit en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense.

      Le syndicat UnitĂ©-SGP Police-FO a demandĂ© l’instauration d’un tribunal dĂ©diĂ©, avec des magistrats spĂ©cialisĂ©s. Les policiers font dĂ©jĂ  l’objet d’enquĂȘte menĂ©es par leurs pairs au sein de l’IGPN


      VC : La police et la plupart des syndicats policiers n’aiment pas que des juges s’immiscent dans leurs affaires. Ils souhaiteraient ĂȘtre jugĂ©s par leur pairs. C’est finalement l’équivalent de ce qu’ont les hommes et femmes politiques, qui sont jugĂ©s principalement par des parlementaires, au sein de la Cour de justice de la RĂ©publique.

      Quant à l’IGPN, celle-ci ne sanctionne que trùs rarement l’usage des armes par un policier ou la gestion du maintien de l’ordre. Il faut un comportement exceptionnellement grave, notamment en dehors de la fonction, pour que l’IGPN ne prononce une sanction.

      On a appris rĂ©cemment qu’un policier pourrait aller devant les assises pour avoir Ă©borgnĂ© un manifestant en 2016.

      VC : C’est exceptionnel qu’un policier aille devant les assises. Ça n’arrive que trĂšs rarement. En gĂ©nĂ©ral, ils y Ă©chappent, sauf dans les cas mortels oĂč la lĂ©gitime dĂ©fense n’est pas Ă©vidente. C’est en effet encore plus rare pour un acte non mortel. Si le renvoi est confirmĂ©, cela fera peut-ĂȘtre jurisprudence.

      L’ouvrage de Vanessa Codaccioni :

      â–șhttps://www.editionstextuel.com/livre/repression