Interview
Vanessa Codaccioni est chercheuse en sciences politiques Ă lâUniversitĂ© Paris-8. Elle est spĂ©cialisĂ©e dans la justice pĂ©nale et la rĂ©pression. Elle a publiĂ© en avril RĂ©pression, lâĂtat face aux contestations politiques chez Textuel. Dans le livre, elle revient sur la criminalisation de lâaction politique et la dĂ©politisation de lâactivisme. Elle a rĂ©pondu Ă nos questions.
Le Panier Ă salade : Ces derniĂšres semaines, des militant·es « dĂ©crocheurs » ont Ă©tĂ© jugé·es Ă Bourg-en-Bresse (Ain) pour « vol en rĂ©union et par ruse », un militant animaliste qui filmait un Ă©levage de porcs a Ă©tĂ© condamnĂ© pour « violation de domicile » et des pompiers qui manifestaient pour « entrave Ă la circulation ». Quâillustrent ces exemples rĂ©cents ?
Vanessa Codaccioni : Il y a une invisibilisation du combat politique. Aujourdâhui, on constate une multiplication des formes de rĂ©pressions. Dans de nombreux procĂšs â notamment en comparution immĂ©diate, le plus important ce sont les infractions reprochĂ©es : de quoi sont accusĂ©es les personnes mises en examen ? Elles sont jugĂ©es pour des dĂ©lits de droit commun : outrages, diffamation, exhibition sexuelle⊠Lâaspect politique des gestes sanctionnĂ©s nâest pas reconnu.
Lors du procĂšs des « DĂ©crocheurs », si le juge a laissĂ© un espace Ă la revendication politique, il a refusĂ© en revanche les tĂ©moignages de chercheurs et associatifs. Quelle est la place de lâengagement politique au tribunal ?
VC : Aujourdâhui, les procĂšs ne peuvent plus ĂȘtre une tribune politique ; les juges ne reconnaissent plus la parole politique. La plupart des militant·es sont jugé·es en comparution immĂ©diate â 29 minutes dâaudience en moyenne, sans vraiment le temps de prĂ©parer sa dĂ©fense â ou au tribunal correctionnel, qui est le tribunal des petites affaires.
Si dans les tribunaux correctionnels, les peines sont plus lĂ©gĂšres, il y a cependant une impossibilitĂ© dâen faire une tribune politique. Ces procĂšs ne permettent pas de faire des dĂ©clarations politiques, ils nâautorisent pas les avocats Ă plaider en longueur ou comme ils le souhaiteraient, ou encore Ă faire dĂ©filer des tĂ©moins. Les dĂ©filĂ©s de tĂ©moins ont toujours Ă©tĂ© importants dans les procĂšs politiques. En cour dâassises ou en tribunal spĂ©cial, lâexercice serait plus simple, mais les peines y sont plus lourdes.
Plusieurs voix se sont Ă©levĂ©es pour rĂ©clamer une amnistie des « Gilets jaunes ». Le premier ministre sây est opposĂ©. Mais la correctionnalisation des actions politiques nâaide pas non plus Ă une telle amnistie.
VC : Le prĂ©sident de la RĂ©publique pourrait faire une amnistie sociale. Cependant, ça voudrait dire quâil reconnaĂźt que les actes des manifestant·es sont des actes politiques. Et tout le jeu du gouvernement a Ă©tĂ© de diviser entre les bons manifestant·es dâun cĂŽtĂ©, et « les casseurs » de lâautre.
En plus, comme il nây a pas de dĂ©lit politique comme on lâa vu, lâamnistie deviendrait complexe Ă mettre en Ćuvre. Il faudrait dĂ©finir lâun aprĂšs lâautre les dĂ©lits qui seraient amnistiĂ©s.
La journĂ©e « Ripostons Ă lâautoritarisme » rassemblait des militant·es dâhorizon diffĂ©rents, des quartiers populaires Ă Bure (Meuse) en passant par les « DĂ©crocheurs ». La plupart dâentre eux a expliquĂ© quâils passaient plus de temps Ă parler de leur dĂ©boires judiciaires et policiers que de leur cause.
VC : Câest prĂ©cisĂ©ment ce que jâexplique dans mon livre. La stratĂ©gie de lâĂtat, câest que la rĂ©pression force les militants Ă dĂ©penser toute leur Ă©nergie et tout leur argent dans leur dĂ©fense judiciaire. Quitte Ă avoir moins de temps pour la cause pour laquelle ils et elles se battent. Câest un des effets de la rĂ©pression.
Vous avez Ă©galement travaillĂ© sur la question de la lĂ©gitime dĂ©fense. Le procureur de la RĂ©publique Ă Paris, RĂ©my Heitz, a annoncĂ© quâen cas dâusage illĂ©gitime de la force, des policiers seraient poursuivis. Cela a suscitĂ© une levĂ©e de bouclier du cĂŽtĂ© des syndicats.
VC : Câest trĂšs compliquĂ© de juger des policiers aujourdâhui ; la plupart ne le sont pas. Et lorsquâils le sont, ils bĂ©nĂ©ficient de verdict de clĂ©mence. Câest Ă dire soit des non-lieux, des acquittements ou des peines de prison avec sursis.
Les forces de lâordre, et notamment les syndicats de police, souhaiteraient, en plus, quâil nây ait aucune procĂ©dure judiciaire contre un policier. Un policier qui tue ne devrait pas ĂȘtre jugĂ©, selon eux.
Ils ont une revendication forte en faveur la prĂ©somption de lĂ©gitime dĂ©fense. Ils seraient ainsi dĂ©clarĂ©s en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense, jusquâĂ ce quâon prouve le contraire. Pour lâinstant, câest au policier de montrer quâil a agit en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense.
Le syndicat UnitĂ©-SGP Police-FO a demandĂ© lâinstauration dâun tribunal dĂ©diĂ©, avec des magistrats spĂ©cialisĂ©s. Les policiers font dĂ©jĂ lâobjet dâenquĂȘte menĂ©es par leurs pairs au sein de lâIGPNâŠ
VC : La police et la plupart des syndicats policiers nâaiment pas que des juges sâimmiscent dans leurs affaires. Ils souhaiteraient ĂȘtre jugĂ©s par leur pairs. Câest finalement lâĂ©quivalent de ce quâont les hommes et femmes politiques, qui sont jugĂ©s principalement par des parlementaires, au sein de la Cour de justice de la RĂ©publique.
Quant Ă lâIGPN, celle-ci ne sanctionne que trĂšs rarement lâusage des armes par un policier ou la gestion du maintien de lâordre. Il faut un comportement exceptionnellement grave, notamment en dehors de la fonction, pour que lâIGPN ne prononce une sanction.
On a appris rĂ©cemment quâun policier pourrait aller devant les assises pour avoir Ă©borgnĂ© un manifestant en 2016.
VC : Câest exceptionnel quâun policier aille devant les assises. Ăa nâarrive que trĂšs rarement. En gĂ©nĂ©ral, ils y Ă©chappent, sauf dans les cas mortels oĂč la lĂ©gitime dĂ©fense nâest pas Ă©vidente. Câest en effet encore plus rare pour un acte non mortel. Si le renvoi est confirmĂ©, cela fera peut-ĂȘtre jurisprudence.