Sylvain Manyach

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  • « La gauche raisonne plus en termes d’Etat que de société ». Entretien avec Michel Wieviorka - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
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    Nonfiction.fr- Vous parliez de la gauche qui donne plus d’importance à l’Etat qu’à la société. On sait que la #Gauche-populaire réclame plus d’Etat parce que seule la #République serait capable de remédier au problème majeur qu’est l’insécurité culturelle. Qu’en pensez-vous ?

    Michel Wieviorka - Je raisonne différemment. Que signifie insécurité culturelle ? Cela veut dire que mon être est menacé par d’autres. Derrière tout cela, il y a beaucoup de peur, d’ignorance, de mauvaise foi, d’idéologie, de généralisation excessive. On parle de ces enjeux culturels en France d’une façon stupéfiante. D’autres pays qui connaissant des phénomènes comparables aux nôtres ont une capacité plus grande à y faire face. Ainsi, ce n’est pas parce que quelques centaines de femmes portent la burqa que le pays entier est menacé. En fait, on assiste en politique soit à de l’excès, soit à du silence. C’est peut-être pour cela que les gens comme moi dérangent un peu. L’excès est repérable à droite et à l’extrême-droite : pour elles, la nation est menacée, l’identité française court de graves dangers, les immigrés mettent en péril notre être culturel. A gauche, il y a plutôt du silence, du défaut dans le traitement de ces enjeux : lors du débat entre les deux tours de l’élection présidentielle entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, j’ai été stupéfait de la faiblesse de ce que le candidat socialiste disait sur ce registre. Il y a une explication politique : ces thèmes divisent la gauche, et ce n’était pas le moment d’accentuer les divisions. Cette incertitude culturelle, faut-il l’imputer à l’islam, au multiculturalisme, à l’immigration ?

    Nonfiction.fr- Justement, on peut l’imputer aux politiques qui instrumentalisent ces questions et véhiculent des peurs…

    Michel Wieviorka - Notre pays depuis vingt ou trente ans est à la tête des pays inquiets en Europe dès qu’on parle de mondialisation. Le danger est d’imputer les difficultés qui nourrissent ces incertitudes à certains groupes, les musulmans, les immigrés…

    Nonfiction.fr- Alors, comment fait-on pour y répondre ?

    Michel Wieviorka - On regarde où sont les problèmes, on mobilise les connaissances disponibles, on lance des recherches pour y voir vraiment clair. Je vous donne un exemple : les affaires du #foulard. Les premiers à avoir fait une étude sérieuse sur le sujet sont Françoise Gaspard et Farhad Khosrokhavar. Ils ont montré que dans certains cas, le foulard était traditionnel, que dans d’autres il était l’expression de l’instrumentalisation des filles par des hommes, des « grands frères » par exemple, mais la réalité était aussi que des jeunes filles voulaient s’émanciper, affirmer leur subjectivité. On ne traite de la même façon une tradition presque rurale, ou à une affirmation de jeune femme dans la modernité. Commençons par accepter la diversité des situations pour réfléchir. Prolongeons cet exemple : il y a eu la commission Stasi (2003) mise en place par Jacques Chirac, il est intéressant de voir comment le « foulard » a été traité : c’est à peine si on a convoqué in fine les femmes concernées.
    Deux de mes étudiantes ont travaillé sur le phénomène de la #burqa en France ; elles montrent qu’une partie des personnes qui font ce choix sont des converties, ou que le sens qu’elles y mettent n’est pas celui qu’on croit. Ce peut être une affirmation de soi qui permet de renverser un rapport de domination, de se mettre en position de supériorité et non plus d’infériorité, de se déclarer plus féministes que toutes les féministes, en dénonçant l’instrumentalisation du corps de la femme. Il n’est pas question de faire de ces remarques partielles une théorie, mais sachons de quoi nous parlons avant de mettre en cause. Il y a trop d’idéologie dans le débat. Contrairement à ce que disent ceux qui critiquent des positions comme les miennes, je pense que dans le débat français la réalité #multiculturelle a été niée, refoulée, ignorée par ceux qui ont tenu des discours trop généraux sur la République. Je suis un républicain, comme tout le monde, je suis un enfant de l’école laïque, comme beaucoup, je défends mordicus les valeurs universelles. Mais je constate en même temps que pour pouvoir bien les défendre, il faut prendre en compte les réalités telles qu’elles sont. Si je tiens un discours qui s’en écarte, il aura beau être magnifique, ce sera ce que Karl Marx appelle un « #universalisme abstrait », je mettrai en avant des idées ne correspondant pas au réel. Je pars de la réalité sociale avant de réfléchir à l’action politique.