Pas d’icône pour les Gilets jaunes
André Gunthert
19 septembre 2019 - 6 h 20 min
(Chronique Fisheye #38) Par sa durée, son extension territoriale,
comme par le niveau élevé des violences, la révolte des Gilets jaunes
est l’une des plus graves crises sociales françaises depuis Mai 1968.
Parmi ses conséquences immédiates, on peut observer une altération
profonde du climat politique et une dégradation de l’image d’un
gouvernement dont les débuts, à peine un an et demi plus tôt,
paraissaient prometteurs.
(…)
Si l’on est conduit à se pencher longuement sur les images des réseaux sociaux, c’est qu’aucune photo n’aura entretemps émergé comme une image emblématique du conflit, selon la tradition désormais bien connue des « icônes » photographiques multidiffusées en couverture des principaux organes de presse, comme l’image de la petite haïtienne en 2010 (Daniel Morel), du petit Aylan en 2015 (Nilüfer Demir), ou encore celle de la petite immigrée hondurienne en 2018 (John Moore), qui témoignent d’un large consensus.
Cette courte liste livre immédiatement la clé de l’énigme. Si ces
figures mettant en scène des victimes innocentes n’ont jamais trouvé
d’équivalent pendant la crise française, s’il n’y a pas eu d’icône des
Gilets jaunes, c’est parce que la majeure partie de la presse, malgré
le nombre jamais vu des blessés et des mutilés, ne les a jamais perçu
et encore moins montré comme des victimes. Deux photos ayant rencontré un certain succès, celle de Geneviève Legay à Nice le 23 mars, et celle du manifestant étranglé à Nantes le 3 août, en dehors des Actes des Gilets jaunes, confirment a posteriori ce constat. »