• Groupe Jean-Pierre Vernant | Le Blog
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    L’annonce de la suspension de nos activités nous a valu de nombreux courriers, très chaleureux, nous en demandant les raisons. La raison la plus profonde tient au moment politique que nous traversons, annonciateur de gros temps pour une décennie au moins, et sans doute plus. Il devient urgent de nous y préparer, ce qui nécessite d’y consacrer du temps — le bien le plus précieux dont nous disposions encore. Ayant peu de goût pour le catastrophisme, il nous a semblé important de rassembler dans ce billet des éléments analytiques sur la crise politique en cours et en particulier sur la nature des régimes qui, des États-Unis à la Hongrie en passant par le Brésil, l’Inde ou les Philippines, menacent l’autonomie de la recherche et de l’Université.

    • si les courants de l’Alt-right se distinguent par des nuances quant aux questions de mœurs et quant aux références évangéliques (néoconservateurs) ou technophiles (libertariens), ils se rejoignent sur l’essentiel en promouvant une hybridation entre néolibéralisme et fascisme, alliant le culte de la libre concurrence au nationalisme, à la xénophobie, à l’eugénisme, au climato-négationnisme, au suprémacisme blanc, à la haine de l’altérité et au rejet des “droits civiques”. Cette hybride monstrueux hérite du néolibéralisme l’idée d’un État illibéral, réduit à sa fonction répressive, au service du marché et sous le contrôle de la sphère actionnariale. Comme n’a cessé de le répéter Robert Paxton, ceci constitue une différence fondamentale avec l’État planificateur et centralisé des fascismes historiques, adossés à la Nation comme communauté organique transcendant tout individualisme [15]. S’il s’agit toujours de détruire l’institution de la société comme communauté de personnes, cela ne passe plus comme dans les totalitarismes par la disparition de l’individu mais par sa privatisation. La résurrection métastatique du mythe identitaire — la race, le sang, le chef — n’est plus affaire de masse mais d’atomisation sociale, de séparation avec l’expérience sensible.

    • C’est ainsi que l’hybride entre néolibéralisme et post-fascisme s’est choisi le nom de “libertarian”, qui signifie libertaire i.e. anarchiste en anglais, pour créer la confusion, faisant de facto de la “liberté” [39] un moyen d’oppression

    • Cette entreprise de démolition de toute éthique intellectuelle et de toute norme de véridiction, accompagnée d’une valorisation du conflit d’intérêt comme norme positive, a ceci de dangereux qu’elle use du retournement du réel en reprenant à son compte la rhétorique du progrès et de la raison.

      Sa nature profonde suggère d’introduire un mot-valise pour nommer cette phase terminale du néolibéralisme : falscisme.

    • Post-scriptum, en forme de cauchemar.
      Si l’extrême-droite “libertarienne” est associée de longue date au climato-négationnisme, et use de tout son pouvoir de nuisance pour déprécier les militants climatiques, elle prétend également détenir la solution au réchauffement climatique, qui mêle eugénisme, racisme et malthusianisme — d’où son obsession à prétendre à une origine génétique de l’intelligence, associée à une héritabilité du QI [51]. Il suffirait, lit-on dans les publications transhumanistes de cette mouvance, de réduire l’humanité de moitié, en sélectionnant les personnes intelligentes donc adaptables. L’urgence climatique étant à l’échelle de deux décennies, un simple chiffrage de cette “solution” en ordre de grandeur nous donne un demi million de morts par jour.