Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Vendre ses données de santé, ça coûte combien ? - CNET France
    https://www.cnetfrance.fr/news/vendre-ses-donnees-de-sante-ca-coute-combien-39895205.htm

    C’est une statistique assez surprenante, pour ne pas dire inquiétante. Selon une enquête de CSA Research pour le laboratoire pharmaceutique Roche, si 78 % des français interrogés estiment que le partage de données de santé (avec des scientifiques) est un acte citoyen qui peut faire progresser la recherche (jusque là, on parle d’open science, donc aucun problème), 20 % sont prêts à aller plus loin que le simple partage, et ne verraient ainsi aucun problème… à les vendre. Chez les 18-24 ans, ils sont même 36 %, « conscients » qu’ils sont de « la valeur » de ces données.

    Oui, leur valeur. Un débat fait rage depuis quelques années autour de la monétisation des données, et leur caractère « patrimonial » ou non. Si vos données personnelles vous appartiennent (et leur valeur aussi) au même titre que votre corps, et si elles ont une valeur importante, pourquoi pas, pensent certaines personnes, accepter sciemment qu’elles soient revendues, contre un petit pécule ? Nous en avons déjà parlé sur CNET France : vos données personnelles en disent beaucoup sur vous, et forcément, pour cette raison, elles ont de la valeur pour de nombreux acteurs, des publicitaires aux assurances, en passant par les chercheurs. Mais seules, isolées, brutes, elles ne valent en fait pas grand chose.

    En novembre 2019, Alphabet a ainsi mis la main sur les données de santé de millions d’Américains, officiellement dans le cadre d’un accord pour « développer de nouvelles technologies dans le domaine de la santé », officieusement dans un but économique. Ainsi, le chercheur en droit et technologie Florian Martin-Bariteau, de l’université d’Ottawa, explique-t-il sur ICI Radio-Canada Première, que « les données de santé sont le nouvel eldorado des compagnies technologiques dans le monde entier ». Car, pense-t-il, sous le manteau, les entreprises qui nouent ce genre de partenariats à priori dans un but noble, pourraient bien être tentées de « se servir de ces informations pour les revendre ». Et d’ajouter qu’on « nous dit pour nous rassurer que Google n’aura pas le droit d’utiliser cet ensemble de données pour les coupler avec les données des consommateurs qu’elle a déjà », mais que « Google est un expert des ’oups’ », et que « ce n’est pas la compagnie qui a la meilleure réputation en gestion des données personnelles et de sécurité des données ».

    Pour éviter ce genre de collecte-revente qui se font (ou se feraient) dans le dos des personnes, sans leur consentement direct, des lois existent, comme le RGPD, effectif en Europe depuis mai 2018. Mais le plus simple ne serait-il pas de laisser les individus vendre eux-mêmes leurs données de santé ? Octroyer un « droit de propriété » aux gens serait ainsi un moyen pour ces derniers, estiment Gaspard Koenig et Jaron lanier, de garder la main sur des données qui ne sont pas comme les autres, car leur valeur ne diminue pas à l’usage.

    Créer un marché qui n’existe pas, c’est l’eldorado des gens sans éthique.

    Sur son site, Embleema publie un « manifeste » intéressant, qui prône une co-construction de la valeur des données de santé, entre les patients et les chercheurs en médecine. Robert Chu et ses associés expliquent que « nos données de santé sont notre actif numérique le plus précieux, car elles peuvent nous sauver la vie dans une situation d’urgence, et fournir des informations critiques pour la prise de décision des prestataires de soins », mais que jusqu’ici, « elles étaient gardées en captivité dans des silos protégés, par crainte de voir nos droits aux soins violés », au grand dam de la « médecine personnalisé, qui perd une mine de données » essentielles.

    Selon la startup, « Blockchain santé » sera l’un des moyens, demain, de redonner « le pouvoir aux patients », de ne plus les obliger à « faire appel à des tiers pour traiter leurs informations les plus sensibles ». Robert Chu explique ainsi « qu’aujourd’hui, les données des patients sont revendues par des sociétés (comme Cegedim en France), qui les achètent à des professionnels de santé comme des hôpitaux, les anonymisent, puis les vendent aux laboratoires pharmaceutiques ». D’après ses estimations, « ce marché, qui avoisine les 200 millions d’euros en France, est capté par ces tiers, et, la source des données, le patient, ne perçoit rien. » Outre Cegedim, notons au passage que d’autres « courtiers de données », comme Sophia Genetics, qui déploie des solutions d’intelligence artificielle en santé, ou OpenHealth Company, effectuent pour des hôpitaux et des médecins le traitement de leurs données, issues de plusieurs centaines de milliers de patients.

    Vendre des données de santé peut coûter cher… à leur propriétaire

    Au fond, revendre vos données de santé ne vous rapporterait donc bien souvent qu’un petit pécule. Mais dans le même temps, estiment les défenseurs de la vie privée et de la protection des données personnelles, cela pourrait vous en coûter, à terme, d’une toute autre façon. Certes, l’idée d’un "droit patrimonial" des données de santé, destiné à contrer la monétisation "sans contrôle" actuelle, est séduisante. Mais une fois les données revendues, celles-ci échappent à leur "propriétaire".

    "Si les données de santé devraient d’abord servir à l’amélioration de la qualité des soins, on ne peut ignorer qu’elles peuvent servir à d’autres finalités, notamment en matière de marketing médical pour les industriels du secteur. À titre d’exemple, connaître la consommation de médicaments par zone de chalandise permet d’organiser les tournées des visiteurs médicaux pour cibler les médecins non-prescripteurs ; ou, à l’instar de n’importe quel secteur commercial, connaître les profils des internautes permet de pousser de la publicité en ligne, toujours plus personnalisée. Les industries de santé consacrent de plus en plus de budget à leur marketing digital, en direction des prescripteurs ou des patients eux-mêmes", observe ainsi Valérie Peugeot, commissaire à la CNIL, en charge du secteur santé.

    En outre, l’anonymisation des données n’est qu’une illusion, d’autant plus que le risque de piratage plane fortement, rappelle cette dernière : "Il se passe rarement plus de quelques jours sans qu’on ne découvre une faille de sécurité sur des logiciels clés ou, plus grave, qu’une fuite de données ne soit révélée. En janvier 2018, ce sont les données de 53 000 patients américains, comprenant entre autres des informations cliniques et des données sur les médicaments prescrits, qui sont parties dans la nature. Mais surtout, plus le nombre de bases de données accessibles est important, plus les croisements entre bases sont possibles, et plus les risques de « réidentification » de données pourtant anonymisées sont grands".

    Ainsi, explique Valérie Peugeot, "il ne suffit pas de décorréler l’information médicale (la pathologie, la prescription...) du nom du patient. Il faut pouvoir s’assurer que d’autres informations associées ne permettront pas de remonter jusqu’à lui. Par exemple, si le patient souffre d’une pathologie lourde et qu’on dispose du nom de la petite commune où il demeure, il est extrêmement simple de l’identifier." Et de citer en exemple la mésaventure du gouvernement australien, qui a mis en 2016 les données de remboursements de dépenses médicales anonymisées de 2,9 millions de personnes en "open data" : la publication scientifique en ligne ScienceX a rapidement démontré que le processus pouvait être inversé, et s’est amusée à réidentifier 7 célébrités australiennes, "dont 3 députés et 1 footballeur".

    La monétisation de nos données de santé serait, redoutent certains, un premier pas vers une marchandisation de soi délétère. “Toute la régulation Informatique et Libertés est opposée à cette approche. Si nous étions dans quelque chose de patrimonial, on pourrait imaginer qu’une fois que vous avez vendu vos données à un service, il pourrait très bien les revendre ensuite à qui il veut sans vous demander votre consentement”, m’expliquait récemment Olivier Desbiey, membre du Laboratoire d’Innovation Numérique (LINC) de l’institution. “En donnant aux données personnelles un caractère patrimonial, on en ferait de simples marchandises, et au-delà, on ferait de l’être humain une marchandise”, concluait-il.

    Plutôt que de revendre nos données, l’idée portée par des penseurs comme Michel Bauwens ou Evgeny Morozov, serait de rendre nos données personnelles “open source”, d’en faire des biens communs, considérées comme une ressource collective - afin de nous redonner à tous la main sur elles. Mais là encore, l’exemple australien cité plus haut par Valérie Peugeot semble rendre cette idée un peu utopique. D’où le retour, peut être, aux fondamentaux : les lois, les réglementations, et le débat, à mêmes de verrouiller et de protéger nos données, y compris de nous-mêmes.

    #Santé_publique #Données_médicales #Données_personnelles #Marchandisation