Retraites : théorisation idéologique d’une contre réforme
Le cri du coeur de Ian Nanook est sympathique, moins les pamphlets à la hâche façon Branco. Les critiques de fond façon Gadrey bien utiles. Idem pour Cohen, Piketty, etc.
Nonobstant on aurait tort de négliger la lecture de l’adversaire.
Ainsi un certain Olivier Galland, sociologue néo-libéral patenté,
vomissant tout ce qui peut être assimilé à une pensée “de gauche”,
vient de livrer sur Telos un nouvel exemple de l’activité de ces
centaines de “petites mains” qui produisent en permanence le substrat théorique de la “start up nation”.
Je suis régulièrement marri que l’on n’y prenne pas davantage garde
tant cette nouvelle trahison des clercs est consubstantielle à la
geste macronienne.
Au cas d’espèce nous avons ici un huluberlu qui assimile
tranquillement les acquis du CNR à un prurit réactionnaire tout droit
issu des pulsions obscurantistes des guildes de marchands du Moyen
Age ! Et de citer Alain Peyrefitte à l’appui de sa thèse...
Inversion réthorique qui est au fondement de la croisade de nos
nouveaux maîtres et constitue en quelque sorte le bréviaire du
REMouleur de base.
A ce titre, à rapprocher de la récente alerte du camarade Reka sur la
novlangue macronienne…
“La face cachée de la réforme des retraites : la fin de la société de défiance
L’objectif explicite de la réforme du système de retraite en masque un autre, bien plus large, et peut-être plus important encore :
transformer profondément le modèle social français pour sortir de la
« société de défiance ». Cette expression a été popularisée à la suite
du magistral petit ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc paru en 2007 qui portait ce titre (après l’ouvrage tout aussi important et
visionnaire d’Alain Peyrefitte en 1995, La Société de confiance). On
trouve dans leur livre tout l’arrière-plan socioéconomique qui donne
sa justification politique à la réforme en cours, tout en soulignant
les grandes difficultés de mise en œuvre. Quel était leur argument ?
La thèse principale du livre est que la France est une société de
défiance – défiance entre les citoyens, défiance des citoyens à
l’égard des institutions, de leurs gouvernants, de leurs représentants
et également des syndicats censés défendre les intérêts des
travailleurs – et que cette défiance est entretenue par un modèle
social fondé à la fois sur le corporatisme et l’étatisme. La preuve
empirique de la défiance française est bien établie par les résultats
de nombreuses enquêtes dont les World values surveys sur lesquelles
s’appuient les auteurs.
Yann Algan et Pierre Cahuc reprennent la célèbre typologie
d’Esping-Andersen qui caractérise le modèle français comme relevant du type « conservateur » dans lequel des dépenses sociales élevées sont octroyées en fonction de différents statuts afin de les préserver et de « renforcer un ordre social traditionnel » (p. 44). Le modèle corporatiste est donc organisé autour de « groupements de métiers qui cherchent à faire respecter des distinctions de statuts » en conditionnant « les différents types de solidarité à l’adhésion à ces
groupes ». Et nos deux auteurs citent bien sûr la multiplication des
régimes de retraite et d’assurance maladie comme l’un des signes
patents de ce modèle corporatiste. Sa caractéristique est également
d’être relativement inégalitaire puisque les prestations sont liées
d’abord au statut professionnel.
Pourquoi ce modèle entretient-il la défiance ? C’est assez facile à
comprendre : chacun veut défendre ses intérêts statutaires au besoin
contre les autres et sans se soucier de l’intérêt général. Cette
société corporatiste est donc une « société propice à la lutte des
classes, au mal vivre national et international, à la jalousie
sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle
» comme l’écrivait Alain Peyrefitte dans son ouvrage de 1995. Le
soutien majoritaire des Français au mouvement de contestation actuel de la réforme des retraites, malgré la gêne occasionnée à beaucoup d’usagers, a surpris certains observateurs. Mais il est l’expression même de cette société corporatiste dans laquelle beaucoup de citoyens jugent qu’il est légitime de défendre ses intérêts statutaires quelle que soit leur légitimité sur le fond. La cohabitation baroque des avocats avec les grévistes de la CGT dans les manifestations et l’opposition farouche au projet en est une autre illustration. »
(…)
« Au total cependant les intellectuels libéraux, s’ils sont cohérents
avec eux-mêmes, devraient soutenir fermement cette réforme et ne pas mégoter leur soutien car, si elle aboutit, elle peut faire franchir à
la société française un saut qualitatif majeur en brisant un des
ressorts principaux du modèle corporatiste qui entretient la défiance
et mine le sens civique. C’est un enjeu majeur. »
Lire la suite :
▻https://www.telos-eu.com/fr/la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-la-fin-.html