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    La 45e cérémonie des César a récompensé vendredi Roman Polanski de trois César, dont celui du meilleur réalisateur. En signe de protestation, l’actrice Adèle Haenel, la réalisatrice Céline Sciamma et toute l’équipe de leur film ont quitté la salle, dans l’apathie générale. « Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes du monde », réagit la comédienne dans Mediapart.

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    • Cinéma français : la nuit du déshonneur

      La 45e cérémonie des César a récompensé vendredi Roman Polanski de trois César, dont celui du meilleur réalisateur. En signe de protestation, l’actrice Adèle Haenel, la réalisatrice Céline Sciamma et toute l’équipe de leur film ont quitté la salle, dans l’apathie générale. « Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes du monde », réagit la comédienne dans Mediapart.
      Elles sont arrivées sous les acclamations, aux alentours d’1 h 30 du matin. Embrassades, étreintes, tapes dans le dos. Pendant de longues minutes, elles passent de bras en bras. La réalisatrice Céline Sciamma ouvre le chemin, suivie d’Adèle Haenel, qui a troqué sa longue robe de gala bleue pour un jeans-blouson, et de sa cheffe opératrice, Claire Mathon, qui brandit son César de la meilleure photographie : tonnerre d’applaudissements.

      La scène ne se passe ni à la 45e cérémonie des César, ni à la soirée officielle qui a suivi au Fouquet’s, mais au Perchoir, un bar-restaurant de l’est parisien. C’est ici que le collectif 50/50, qui œuvre pour l’égalité et la diversité dans le cinéma, a trouvé refuge vendredi soir pour organiser sa contre-soirée des César.

      Outre les piliers et membres du collectif, il y a là plusieurs personnalités du cinéma, telles que la réalisatrice Rebecca Zlotowski, l’actrice Anna Mouglalis ou le comédien Swann Arlaud. Les mines sont défaites, mais l’ambiance reste joyeuse, solidaire, réconfortante. « Ici, on se tient chaud », glisse une participante.

      Une heure plus tôt, Adèle Haenel, Céline Sciamma et toute l’équipe de leur film Portrait de la jeune fille en feu ont quitté la cérémonie à l’annonce de la victoire de Roman Polanski, couronné du prestigieux César du meilleur réalisateur, en dépit des six accusations de viols le visant. « C’est la honte, c’est la honte ! », s’est exclamée Adèle Haenel, agitant les bras en signe de protestation. « On s’en va », a enchaîné Céline Sciamma. L’équipe du Portrait s’est levée, laissant une grande partie du deuxième rang vide.

      Applaudie dans les couloirs, l’actrice, en colère, a ensuite quitté la salle Pleyel en chantant : « Eh bien vive la pédophilie, bravo la pédophilie, bravo ! » (voir la vidéo).

      À Mediapart, Adèle Haenel explique qu’« alors que la cérémonie avait plutôt bien débuté, qu’il se passait quelque chose », avec plusieurs prises de parole fortes « comme Lyna Khoudri [meilleur espoir féminin – ndlr], Aïssa Maïga, l’équipe du film Papicha [de Mounia Meddour, qui traite du combat des femmes en Algérie – ndlr], et le numéro d’équilibriste réussi de Florence Foresti », la soirée s’est ensuite « affaissée dans les remerciements ». « Comme si, cette année, il n’y avait pas autre chose à dire : sur les violences sexuelles, sur le cinéma qui traverse actuellement une crise, sur les violences policières qui s’intensifient, sur l’hôpital public qu’on délite, etc. » « Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes du monde », résume l’actrice à Mediapart.

      Adèle Haenel voit dans la séquence d’hier une tentative de museler certaines paroles et elle questionne la « crispation » d’une partie du monde du cinéma. « Ils pensent défendre la liberté d’expression, en réalité ils défendent leur monopole de la parole. Ce qu’ils ont fait hier soir, c’est nous renvoyer au silence, nous imposer l’obligation de nous taire. Ils ne veulent pas entendre nos récits. Et toute parole qui n’est pas issue de leurs rangs, qui ne va pas dans leur sens, est considérée comme ne devant pas exister. » L’actrice note le paradoxe : « Ils font de nous des réactionnaires et des puritain·e·s, mais ce n’est pas le souffle de liberté insufflé dans les années 1970 que nous critiquons, mais le fait que cette révolution n’a pas été totale, qu’elle a eu un aspect conservateur, que, pour partie, le pouvoir a été attribué aux mêmes personnes. Avec un nouveau système de légitimation. En fait, nous critiquons le manque de révolution. »

      « Toute la soirée a tourné autour de l’idée que l’on ne pourrait plus rien dire, “comment on va rire maintenant si on ne peut plus se moquer des opprimés”. Mais si on riait aussi de nous-mêmes, si on riait aussi des dominants ? », souligne la comédienne, déjà doublement césarisée (en 2014 et 2015).

      Quelques jours plus tôt, réagissant dans le New York Times aux 12 nominations de Polanski, elle avait déclaré : « Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, “ce n’est pas si grave de violer des femmes”. »

      L’image de sa sortie de salle, qui fait le tour du monde depuis vendredi soir, résume à elle seule le clivage actuel qui traverse le cinéma français. Comme un bras d’honneur, les quelque 4 000 votants de l’Académie des César – qui ont voté à 81 % pour cette édition 2020 – ont préféré plébisciter un cinéaste accusé de viol par six femmes (la plupart fillettes ou adolescentes au moment des faits), sous les yeux d’une actrice qui, en novembre, a relancé #MeToo en France par son témoignage dénonçant des violences sexuelles subies enfant, puis adolescente. Sous le regard aussi de l’équipe du film Grâce à Dieu, de François Ozon, qui retrace l’affaire de pédocriminalité dans l’Église française.

      Nommée dans dix catégories, l’équipe de Portrait de la jeune fille en feu repart avec un seul César (celui de la meilleure photo), et J’accuse, de Polanski, avec trois récompenses, dont deux honorant directement le cinéaste (meilleure adaptation et meilleur réalisateur). L’équipe de J’accuse avait choisi de boycotter la cérémonie. Seule la communicante du cinéaste, Anne Hommel, était présente dans la salle. Questionnée par Mediapart, elle a expliqué être venue « à titre personnel » et n’avoir aucune déclaration à faire.

      Les Misérables de Ladj Ly ont tenu le haut de l’affiche avec quatre statuettes, dont celle de meilleur film (retrouvez ici le palmarès complet).

      Comme quelques autres, l’actrice Aïssa Maïga a quitté la salle après l’annonce de l’attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski. « J’étais d’abord un peu clouée sur place. Et puis une minute après, je n’étais pas bien, je suis partie, réagit-elle auprès de Mediapart en sortant. J’ai été terrassée, effrayée, dégoûtée, à titre vraiment personnel, dans mes tripes. J’ai vu la réaction d’Adèle Haenel, très forte, et honnêtement, j’ai pensé à toutes ces femmes. Toutes ces femmes qui voient cet homme plébiscité et je pense, au-delà de ces femmes, à toutes les autres, toutes les personnes victimes de viols, de violences sexuelles. J’imagine quel symbole cela peut revêtir pour elles. Et pour moi l’art n’est pas plus important que tout. L’humain d’abord. »

      L’actrice marque une pause, puis reprend : « Vous savez, c’est comme dans une famille : on croit se connaître un petit peu et puis, parfois, à la faveur d’une extrême révélation, on découvre qui sont les gens, ce qui est important pour eux, et parfois on constate avec un peu d’amertume qu’on n’a pas tout à fait les mêmes valeurs. » « Ce n’est pas grave, il faut le savoir et pouvoir avancer avec ça. Et moi, là, j’ai envie d’aller rejoindre les manifestantes dehors, c’est tout. J’aime beaucoup le cinéma, les tapis rouges, les films, les cinéastes, j’aime tout ça, mais moi je suis une fille qui n’a pas été éduquée dans l’élite, ni dans un esprit d’élitisme, je me sens une citoyenne comme les autres et là je vais aller les rejoindre », conclut-elle en se dirigeant vers le rassemblement des féministes face à la salle Pleyel. À quelques mètres du tapis rouge, les cris des militantes, parquées derrière les barrières, redoublent : « Polanski violeur, César complices ! » ; « Mais vous n’avez pas honte ? ».

      Récompensé du César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans Grâce à Dieu, où il interprète un homme victime de pédocriminalité de la part d’un prêtre, Swann Arlaud a jugé « assez incompréhensible » la récompense attribuée à Roman Polanski. « La parole se libère, mais le combat n’a pas énormément avancé », a-t-il estimé, en apportant son soutien à Adèle Haenel. « Adèle a fait sa prise de parole extrêmement brillante [en novembre – ndlr] [...]. On a tous été émus par ça, moi j’ai été ébranlé par ça. [...] Même si on n’est pas directement concerné, ça ne peut que mettre en colère. Evidemment que je comprends son geste » :

      Quelques minutes plus tard, l’équipe du film de Nicolas Bedos, La Belle Époque, récompensé de trois César, donnait un tout autre son de cloche. Aux journalistes qui lui demandent de réagir à la statuette accordée à Polanski, Fanny Ardant explique : « Moi, quand j’aime quelqu’un, je l’aime passionnément. Et j’aime beaucoup, beaucoup Roman Polanski. Je suis très heureuse pour lui. » « Après, je comprends que tout le monde n’est pas d’accord, mais vive la liberté !, a complété, tout sourire, l’actrice, qui a obtenu le César du meilleur second rôle féminin. Moi je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine ! Je n’aime pas la condamnation. »

      À côté d’elle, le réalisateur Nicolas Bedos – qui, en juin, était arrivé bras dessus, bras dessous avec Roman Polanski et Jean Dujardin à une avant-première (lire notre article) – esquive les questions des médias avec la langue de bois d’un homme politique : « Je prends acte de la force de la séquence, comme on dit en politique, […] de la séquence en général de cet espèce de combat des femmes et je tais ma voix de mâle blanc dominant, comme on dit de façon discutable. » « Après, il y aura beaucoup à dire sur tout cela. Il faudra qu’on se réconcilie, qu’on avance. Mais tout de suite, là, en ce moment, c’est aux femmes de parler, pas à moi, donc je ferme ma gueule », a-t-il ajouté, préférant se féliciter des récompenses obtenues par son film : « C’est magique ce que je vis moi ce soir. Pardon d’être un peu égoïste, mais je ne pense ni à Roman Polanski, ni à Céline Sciamma, ni à rien. »

      Questionnée par le site Allociné, la comédienne Anaïs Demoustier, récompensée du César de la meilleure actrice, n’a pas non plus manifesté de soutien à la démarche d’Adèle Haenel (nommée dans la même catégorie), se contentant d’un très neutre : « Je n’étais pas dans la salle au moment où Adèle est partie, je venais de recevoir mon prix […], elle est partie quand Roman Polanski a eu son prix, je peux comprendre. »

      Les réactions de la salle ont été à l’image de cette soirée : apolitiques. Aucun lauréat ou remettant – ou presque – n’a livré de discours politique. Cette année, le contexte s’y prêtait pourtant particulièrement : outre l’onde de choc #MeToo, qui a fait irruption dans le cinéma français au mois de novembre, avec deux ans de retard, un vent de fronde souffle à l’encontre de l’Académie des César, critiquée pour son fonctionnement opaque et verrouillé, son manque de parité, de diversité. Deux cents personnalités avaient signé une tribune dénonçant le manque de démocratie et de mixité de l’Académie. Au point que, le 13 février, son président, Alain Terzian, en poste depuis 2003, avait dû démissionner avec son équipe. Une première (lire notre article).

      Si plusieurs personnalités, dont la présidente de la cérémonie, l’actrice Sandrine Kiberlain, ont fait des allusions pudiques à la « tempête », aux « tensions » qui touchent les César, ou salué la « libération de la parole des femmes », l’essentiel des discours s’est borné aux remerciements habituels.

      Trois exceptions notables, cependant. D’abord la maîtresse de cérémonie, l’humoriste Florence Foresti, qui a choisi de mettre les pieds dans le plat dès les premières minutes, pour évoquer l’éléphant dans la pièce. Celui qu’elle a, toute la soirée, nommé « Popol » ou « Atchoum ». « Pour qu’on soit totalement tranquilles, faut qu’on règle un dossier. Il y a douze moments où on va avoir un souci. Il faut qu’on règle le problème sinon ça va nous pourrir la soirée. Qu’est-ce qu’on fait avec Roro ? Qu’est ce qu’on fait avec Popol ? Ne faites pas comme lui, ne faites pas les innocents, vous savez très bien de qui je parle. Qu’est-ce qu’on fait avec Atchoum ? », a-t-elle lancé, sous les rires de la salle.

      Présentant les longs-métrages favoris de cette édition 2020, elle a osé un : « Grâce à Dieu, la pédophilie dans l’Église. J’accuse, la pédophilie dans les années 1970. »

      Plus tard, c’est Patrick Bruel, visé par une enquête pour « exhibition sexuelle » et « harcèlement sexuel », qu’elle a raillé, sans jamais le nommer : « Je voudrais prendre la défense des hommes. […] Récemment, un acteur a été accusé de se mettre nu devant sa masseuse. Il dit pour sa défense : “Oui mais j’avais chaud.” C’est vrai, on était en Corse, en été. Vous avez déjà essayé de garder un slip jetable par cette chaleur ? » Et l’humoriste de s’interroger sur le dérèglement thermique de plusieurs hommes : « C’est vrai, Weinstein, chaud. Epstein, chaud. DSK, chaud. Si vous vous mettez nu dans l’espoir de nous exciter, comment dire ? Les gars, vous aurez plus de chances de nous choper avec un bout de pain. La nudité ne va pas à tout le monde. Ça s’essaie en cabine avant. Passé un certain âge, un certain poids, en tout cas. […] Conseil aux futurs prédateurs : couvrez-vous ! »

      D’autres remarques ont émaillé ses interventions durant la soirée : « Il paraît qu’il y a des gros prédateurs dans la salle – euh producteurs ! » ; « Bonsoir mesdemoiselles, bonsoir mesdames et… Ah si, il en reste. Bonsoir messieurs. Peut-être qu’ils ont un bracelet électronique » ; « J’ai les noms de ceux qui ont voté Atchoum au premier tour ». L’humoriste n’a pas non plus passé sous silence le manque de parité du milieu (soulignant par exemple que seule une femme était nommée dans la catégorie « meilleur scénario ») ou le manque de diversité : « Ça va la diversité ? Vous vous croyez où ? À la MJC de Bobigny ? Ici c’est l’élite, vous dégagez ! » Elle a aussi longuement ironisé sur la difficulté à trouver cette année des remettants pour les prix : « J’ai eu beaucoup de désistements, rapport à Popol… »

      Remettant le César du meilleur espoir féminin, l’actrice Aïssa Maïga, membre du collectif Noire n’est pas mon métier, a elle jeté un pavé dans la marre avec sa longue intervention sur l’invisibilisation des personnes non blanches dans le monde du cinéma.

      « Je peux pas m’empêcher de compter le nombre de Noirs dans la salle, a-t-elle ironisé à la tribune. Je sais qu’on est en France et qu’on n’a pas le droit de compter. C’est douze ce soir, le chiffre magique ? [...] On a survécu au whitewashing, aux blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, aux rôles de terroristes, de filles hypersexualisées... On refuse d’être les bons Noirs. On est une famille, non ? On se dit tout. L’inclusion, elle ne va pas se faire toute seule. Ça ne va pas se faire sans vous. Pensez inclusion. […] Faisons une maison qui soit fière d’inclure toutes les différences. »

      À Mediapart, après la cérémonie, elle relate « l’effroi dans la salle » qu’elle a constaté au moment de sa prise de parole. « Je ne savais pas très bien comment l’interpréter. J’avais l’impression de plonger dans un bain de glaçons, de dire des choses qui pourtant me paraissent assez évidentes et audibles. J’ai eu l’impression que chez certains, il y a une sorte de ras-le-bol, comme si on les gavait avec la question de la diversité, qui n’est autre qu’une question de justice sociale. Et on a une responsabilité qui est énorme. Je ne pense pas que les artistes ou les décideurs ou les techniciens puissent se soustraire à cette question de l’identification du public aux films qu’on fait. Ça me paraît totalement aberrant. » Et la comédienne d’« assumer pleinement » ses propos : « J’avais besoin de dire ce que j’avais à dire. Aucun des mots que j’ai choisis n’était un accident. Je me sens aussi portée par une lame de fond. »

      Autre discours fort, celui du comédien Swann Arlaud, qui a rendu hommage aux victimes de l’affaire de pédocriminalité dans l’Église – affaire portée devant la justice. « Quelle fierté de faire partie de ce film, vraiment », a-t-il déclaré sur scène, en rappelant que « par deux fois on a essayé d’empêcher la sortie du film ». Il a salué les « trois personnages qu’on interprète, qui existent vraiment. Ils s’appellent Alexandre, François, Pierre-Emmanuel. Ils ont subi des abus sexuels pendant leur enfance et c’est devenu des héros, parce qu’ils ont réussi à parler, à affronter le mensonge, le mépris […] et c’était une immense responsabilité d’avoir ça à jouer ».

      Après la cérémonie, les réactions de soutien à Adèle Haenel ont afflué sur les réseaux sociaux. À l’image de celle de l’écrivaine Virginie Despentes sur son compte Instagram :

      Sur Instagram également, Florence Foresti s’est dite « écœurée » par le César attribué à Polanski :

      « Qu’un mec recherché par Interpol puisse même recevoir une distinction, ça me dépasse »

      Vendredi soir, ce qui s’est déroulé hors de la salle Pleyel était tout aussi parlant. Alors que, à partir de 18 h 30, les invité·e·s de la cérémonie commençaient à affluer en tenue de gala, prenant des selfies sur le tapis rouge, des manifestantes féministes étaient rassemblées en face et s’époumonaient : « Polanski violeur ! »

      Trois heures avant l’ouverture de la cérémonie, les manifestantes avaient commencé à arriver au compte-gouttes place des Ternes, le lieu de rassemblement autorisé par la préfecture de police à 300 mètres de la salle Pleyel. Des pancartes contre « Violanski » ou dénonçant la « complicité » des Césars hérissaient les abords de la station de métro.

      Morgane, 35 ans, n’est pas dupe : elle se doute que d’autres actions auront lieu au plus près du tapis rouge mais préfère rester sur la place avec ses amis. « Je ne suis pas prête à aller en garde à vue ce soir. » Familière des mobilisations « contre le sexisme, la pédocriminalité et toutes sortes d’injustices », Morgane explique à Mediapart être venue témoigner « son soutien aux victimes » de Roman Polanski et souligner « le symbole » : « Je m’en fous qu’il soit pas là. Mais qu’un mec recherché par Interpol soit libre et puisse même recevoir une distinction » la dépasse. « Tout est politique, le cinéma aussi. »

      Camille, Poojarini et El, 17 et 18 ans, vont à la fac ensemble et se retrouvent régulièrement dans des manifs féministes, lycéennes ou interprofessionnelles. Comme beaucoup de participantes, elles disent leur admiration pour Adèle Haenel, preuve que « dans le cinéma français, ça commence à bouger ». Elles ont puisé les ressorts de leur engagement féministe « dans le quotidien », explique Poojarini, lassée de « réfléchir à comment s’habiller parce qu’il ne faudrait pas qu’on voie un téton par transparence » ou de « garder ses clés entre les doigts » quand elle rentre chez elle.

      À quelques mètres des trois jeunes femmes, un homme âgé s’en prend verbalement à d’autres militantes. « Moi je suis féministe, mais vous, vous êtes des racistes des hommes. Il y a des fanatiques chez les femmes, vous êtes enfermées dans votre idéologie. — Cassez-vous. — Je suis chez moi, vous êtes des fachos. — Va te noyer dans un verre d’eau. » Les manifestantes tournent le dos à l’importun, qui finit par quitter les lieux.

      L’une des coordinatrices du collectif #NousToutes dans les Yvelines – elle s’appelle aussi Morgane – se dit « assez satisfaite » de ce rassemblement qui « donne le ton de l’année » avant le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et une « nouvelle marche » prévue pour le mois de novembre. « Les deux dernières années ont été importantes », estime-t-elle, citant comme exemple l’entrée du mot féminicide dans le langage courant. Derrière elle, un porte-voix scande : « Victimes, on vous croit ! », pendant que la manifestation se déplace vers le barrage de gendarmes mobiles.

      Malgré la présence policière, il est encore facile de circuler de la place des Ternes à l’avenue Hoche, en longeant les barrières installées pour protéger le tapis rouge des César. Sur ce boyau de trottoir se croisent des couples élégants en tenue de soirée, déterminés à entrer dans la salle Pleyel, des riverains huppés promenant leur cocker comme tous les soirs et de sincères curieux qui espèrent apercevoir quelques acteurs français par les trous d’une bâche.

      Près de l’entrée « officielle » de la cérémonie, l’ambiance est à la conspiration. Les féministes se cherchent du coin de l’œil, se reconnaissent et se mettent en position pour les actions prévues. Vanessa, piercing dans le nez et souci de discrétion en tête, nous glisse qu’elle fait partie de « l’équipe au sol », tout en essayant de ne pas se faire repérer par les CRS. Plus que quelques minutes avant que les militantes ne craquent des fumigènes et ne se fassent repousser loin du tapis rouge dans un nuage de lacrymogènes.
      À 19 heures pile, le collectif La Barbe envoie une vidéo à un millier de personnalités du cinéma dont elles ont récupéré le numéro de portable, espérant les atteindre jusqu’à l’intérieur de la salle Pleyel, où il leur était impossible de se glisser. Le contraste entre le « on » et le « off » de la cérémonie devient saisissant. D’un côté de la rue des manifestantes touchées par le gaz toussent encore. Deux d’entre elles, acculées dos au mur par des policiers casqués, continuent à donner de la voix. Juste en face, les invités des César font la queue en silence, sous l’œil des clients des terrasses alentour.

      À l’intérieur de la salle Pleyel, c’est une tout autre ambiance. Dans les travées du cocktail qui précède la cérémonie, Polanski ne semble pas à l’ordre des discussions. Coupe de champagne à la main, on prend des selfies, on parle cinéma et on se demande des nouvelles.

      À l’extérieur, deux manifestations, l’une côté Ternes et l’autre côté Hoche, encerclent désormais la cérémonie. Un petit groupe, portant une banderole « César de la honte », est vite raccompagné hors du périmètre. De la musique douce émane du tapis rouge, effleuré de loin par les slogans : « Polanski violeur, cinéma coupable », « Le kérosène, c’est pas pour les avions, c’est pour brûler, violeurs et assassins », « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ».

      Charlotte, 21 ans, étudiante en cinéma à Paris III, manifeste pour « la première fois depuis longtemps ». Les débats qui ont entouré la sortie de J’accuse lui ont donné envie de s’y remettre. « Le cinéma est un microcosme qui permet de voir le macrocosme. Les mêmes mécanismes que dans l’entreprise s’appliquent, mais en plus visible. »

      Quand la cérémonie commence, à 21 heures, il ne reste plus que quelques dizaines de manifestantes sur l’avenue de Wagram, repoussées d’un endroit à un autre et finalement encerclées par les camions de police. Privées de sortie pendant un quart d’heure, elles peuvent ensuite se disperser. Certaines rejoignent un peu plus tard les abords du Fouquet’s, où se retrouvent les vainqueurs.

      Cette nuit des César a révélé combien une partie du monde du cinéma évoluait hermétiquement, séparé du reste de la société et des débats qui la traversent. « D’un point de vue politique et médiatique, la France a complètement raté le coche » sur #MeToo, expliquait Adèle Haenel quelques jours plus tôt dans son entretien au New York Times. Elle ne se doutait sans doute pas à quel point.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/290220/cinema-francais-la-nuit-du-deshonneur?onglet=full

      @tintin mais sans beaucoup d’images et liens...

    • Le vrai “J’accuse” c’est ce texte de Despentes, pas le film de Polanski.

      Tout est dit.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/03/01/cesars-desormais-on-se-leve-et-on-se-barre_1780212

      Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes.

    • Dommage pour le titre et le commentaire de Valeurs Actuelles, mais voici le discours d’Aïssa Maïga à la cérémonie des César 2020 :
      https://www.youtube.com/watch?v=YSt70CgXGUM

      On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées... Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille.

      #Aissa_Maiga #Césars