• Au #Japon, l’enfer des centres de détention des demandeurs d’asile

    Près de 1 500 personnes sont actuellement dans ces structures. Sans limite claire et particulièrement dures, les conditions d’enfermement sont un moyen de pression sur les réfugiés.

    LETTRE DE TOKYO

    L’Ethiopien Yonas Kinde a terminé 100e du marathon de Tokyo couru dimanche 1er mars, avec un temps de 2 h 24 min et 34 secondes. Loin du vainqueur, Birhanu Legese, lui aussi Ethiopien. Yonas Kinde n’est pas un coureur comme les autres. Réfugié depuis 2013 au Luxembourg pour des raisons politiques, il a participé aux Jeux olympiques (JO) de Rio de Janeiro de 2016, non pas sous la bannière de son pays natal mais sous celle de l’équipe olympique des réfugiés. Il compte le faire à nouveau lors des JO de Tokyo cet été.

    Outre sa carrière sportive, il se bat pour la cause des demandeurs d’asile et a profité de son passage dans l’Archipel pour rappeler que « n’importe qui peut devenir un réfugié, à n’importe quel moment » et que « la vie de réfugié était pleine de défis, [que ce soit] pour se déplacer ou encore trouver du travail ».

    Un pays hostile à l’immigration

    Son message a une résonance particulière au Japon, pays parmi les plus réticents à accepter des demandeurs d’asile. En 2018 (derniers chiffres disponibles), seules quarante-deux demandes ont été acceptées, sur 10 493 déposées.

    Hostile à toute immigration malgré l’entrée en vigueur d’une loi en avril 2019 devant faciliter la venue de travailleurs étrangers, le Japon fait tout pour limiter l’arrivée de réfugiés. Citée par le quotidien Mainichi, une note administrative du 16 novembre 2018, diffusée à l’aéroport de Narita, près de Tokyo, et émanant du bureau régional de l’immigration de la capitale, évoquait l’augmentation du nombre de réfugiés du Sri Lanka. Elle expliquait qu’il fallait « de toute urgence réduire le nombre de demandes d’asile » et exigeait de faire signer aux ressortissants sri-lankais entrant au Japon une déclaration précisant qu’ils repartiraient dans leur pays « avant l’expiration de leur visa ».

    Les critiques du Japon en matière de demande d’asile portent également sur les conditions de détention des personnes dont les requêtes ont été rejetées ou de celles ayant commis des infractions à la législation sur l’immigration. La majorité des détenus sont en attente d’une expulsion qu’ils contestent.

    « Nous sommes obligés d’expulser », déclarait en 2019 le chef du bureau de l’immigration au sein du ministère de la justice, Shoko Sasaki, à la presse étrangère. « Nous ne voulons pas, dans notre pays, de ces personnes qui sont en détention. » Le ministère se défend par ailleurs de tout abus.

    Détentions arbitraires

    Sans limite claire et particulièrement dures, les détentions dans les centres d’immigration seraient un moyen de pression sur les réfugiés, considérés comme des délinquants. Elles sont régulièrement la cible des instances internationales.

    Le 20 janvier, l’ONG Human Rights Now rappelait que « les #détentions_arbitraires au Japon dans les centres d’immigration entraînent de graves #violations des #droits_humains. Malgré les appels d’organisations de la société civile exhortant le gouvernement à mettre fin à ces pratiques, la situation ne s’est pas améliorée ». L’ONG appelait Tokyo à accepter une enquête du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. En 2018, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) avait recommandé à l’Archipel d’établir une période maximale de détention des migrants.

    Près de 1 500 personnes, originaires en majorité d’Asie du Sud-Est, d’Afrique et du Moyen-Orient, sont actuellement détenues dans les centres d’immigration au Japon. Selon une enquête réalisée en 2019 par l’ONG Ushiku no kai en réponse à un questionnaire du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, 77 % des détenus étaient emprisonnés depuis plus d’un an ; 36 % l’étaient depuis plus de deux ans, 80 % avaient vu leur demande d’asile rejetée au moins trois fois. « Ces détentions longues ne sont rien d’autre qu’une violation des droits de l’homme », déplore Kimiko Tanaka, porte-parole de l’ONG.

    Elles sont d’autant plus difficiles à vivre que les moyens de communication avec l’extérieur sont limités par le coût des appels téléphoniques et par la durée, fixée à trente minutes maximum, des visites.

    Ces conditions s’accompagnent d’un profond sentiment d’#injustice. Mehmet Colak, un Kurde de 38 ans originaire de Turquie, a passé un an et demi en détention. « Ce n’est pas comme si j’avais commis un crime. Tout ce que j’ai fait, c’est de venir au Japon parce que je redoutais des persécutions et y demander le statut de réfugié », insiste-t-il.

    #Grève_de_la_faim

    Arrivé dans l’Archipel en 2004, il a vu sa demande d’asile refusée à plusieurs reprises. Sa famille et lui ont même été condamnés à être expulsés. Arrêté et incarcéré en janvier 2018, il est tombé malade en mars 2019. Par deux fois, les autorités d’immigration auraient refusé l’ambulance que sa famille avait envoyée. Fait rare, l’incident a été évoqué au Parlement et il a suscité des protestations des avocats du Japon.

    M. Colak a finalement été libéré à titre provisoire en juin 2019 et il milite depuis pour une amélioration de l’accès aux soins et des conditions des prisonniers. Il plaide notamment pour plus de libérations provisoires et un cadre plus souple après la fin de la détention. Les personnes qui en bénéficient ne peuvent pas travailler, ouvrir un compte bancaire, avoir un téléphone ou déménager sans autorisation. Des contraintes qui poussent à commettre des infractions et entraînent un retour en détention.

    Pour les détenus en attente d’une libération, l’unique moyen d’exprimer leur détresse et d’attirer l’attention de l’extérieur est la grève de la faim. En 2019, cent quatre-vingt-dix-huit d’entre eux en ont entamé une. Un ressortissant nigérian en est mort en juin, au centre de Nagasaki, dans le sud-ouest du pays. Il s’agissait du quinzième décès depuis 2006 dans les centres nippons.

    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/04/au-japon-l-enfer-des-centres-de-detention-des-demandeurs-d-asile_6031722_321
    #asile #migrations #réfugiés #détention_administrative #rétention

    voir aussi cet article de 2016 :
    Inmates on hunger strike at Japanese immigration detention centre
    https://seenthis.net/messages/510477