• Ces #enfants qu’on a poussés à massacrer des gens pendant les #guerres de #Religion
    https://www.nouvelobs.com/idees/20200315.OBS26082/ces-enfants-qu-on-a-pousses-a-massacrer-des-gens-pendant-les-guerres-de-r

    ... l’action régulière des enfants au sein des cruautés commises par les catholiques sur les protestants se révèle centrale, parce qu’elle est précisément symbolique : ce n’est pas en dépit de la pureté qu’on leur attribue que les enfants sont ici mobilisés, mais en raison de celle-ci, qui en fait les instruments privilégiés de la volonté divine aux yeux des catholiques ; « dépositaires d’une innocence qui fait d’eux des figures du Christ. »

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    • A la mi-mai 1562, le protestant François du Mas est traîné vivant dans les rues de Toulon sur ordre des autorités catholiques de la ville, avant que les adultes ne s’effacent, et celui-ci est alors « lapidé et brûlé par des petits enfants ». De la même manière en septembre 1572, quelques jours après la Saint-Barthélemy, le protestant Jean Bellardel est pendu dans la ville de Provins, avant que son cadavre ne soit détaché par un groupe d’une centaine d’enfants de moins de 12 ans, qui tentent de l’écarteler puis le traînent dans la boue qui jonche les rues de la ville.

      Comment interpréter, et quel sens donner à ces épisodes glaçants de violence au sein des guerres de Religion, spécialement lorsqu’ils sont ainsi commis par des enfants en bas âge ? L’historien Denis Crouzet y analyse bien plus que des détails sordides ou des débordements incontrôlés de violence populaire.

      Au contraire, l’action régulière des enfants au sein des cruautés commises par les catholiques sur les protestants se révèle centrale, parce qu’elle est précisément symbolique : ce n’est pas en dépit de la pureté qu’on leur attribue que les enfants sont ici mobilisés, mais en raison de celle-ci, qui en fait les instruments privilégiés de la volonté divine aux yeux des catholiques ; « dépositaires d’une innocence qui fait d’eux des figures du Christ. »
      Sommets de cruauté

      Il reste alors à essayer de comprendre, malgré la distance qui nous sépare des guerres de Religion du XVIe siècle, souvent hâtivement cantonnées dans un recoin inconfortable de l’histoire de France. Comprendre la structure de ces violences, qui prennent place dans une chrétienté angoissée par l’idée de la fin des temps, et où la Réforme protestante marque une profonde déchirure qui vient précipiter ces peurs. Les événements qui s’ensuivent sont ainsi parcourus par une exaltation mystique dont la dimension symbolique (où Denis Crouzet plonge depuis des décennies) explique les sommets insensés de cruauté sur les victimes protestantes, qu’il s’agit de châtier parce qu’elles sont allées à l’encontre du message – perçu – de Dieu.

      Comprendre aussi le rôle des enfants dans ces violences, qui s’inscrit en continuité avec leur place quotidienne dans les sociétés d’Ancien Régime, où ils sont souvent des acteurs essentiels des rituels folkloriques et des cérémonies chrétiennes, et prennent une nouvelle dimension dans un contexte d’affrontements religieux. Les enfants deviennent alors les vecteurs d’une action politique de la part des adultes, représentant les bras innocents qui confèrent un surcroît de légitimité aux actions décidées par le parti catholique. C’est le cas notamment lors de la Saint-Barthélemy où l’élimination le 24 août 1572 à Paris de l’amiral Coligny, chef du parti protestant, est prolongée par la procession et le dépècement de son cadavre dans la ville par des bandes d’enfants, légitimant en quelque sorte symboliquement l’action du parti catholique.
      Faire résonner ces violences lointaines

      Comprendre enfin les motivations de ces enfants, ce qui implique bien souvent de bâtir des ponts et de mettre en place des comparaisons à travers les périodes historiques, pour faire résonner ces violences enfantines lointaines avec celles, mieux documentées, des enfants soldats du Mozambique, des jeunes tueurs à gages de Medellín ou des génocidaires du Rwanda. Car la place des enfants dans une telle accumulation d’horreurs – parfois à l’avant-garde, désignant les victimes, périodiquement bourreaux – ne cesse jamais de produire le malaise, quelle que soit la distance qui nous en sépare.

      En particulier, la familiarisation de ces jeunes enfants à un tel déferlement de cruautés pose la question des conséquences de long terme, tant pour les individus eux-mêmes que dans l’image que la société se fait de l’enfance. Et si de telles actions se raréfient après 1572, l’onde de choc d’une telle culmination se fait sentir dans le long XVIIe siècle, et bien au-delà jusqu’à la Révolution française.
      Les Enfants bourreaux au temps des guerres de Religion, par Alexandre Crouzet, Albin Michel, 334p., 22,90 euros.