• Stéphane Troussel (PS) : « Le projet de revenu universel d’activité doit sortir du dogme du budget constant pour qu’il y ait des “gagnants” »

    En refusant les principes d’inconditionnalité et d’inclusion des jeunes mais aussi d’assumer le coût budgétaire d’une telle réforme, le gouvernement la condamne explique, dans une tribune au « Monde », le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

    « Au vu des prestations concernées par cette réforme – RSA et prime d’activité, allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droit, APL, allocation aux adultes handicapés et minimum vieillesse –, dix-sept millions de personnes sont directement concernées. »

    Tribune. Des mois de concertation, mais aucune garantie. Des travaux très techniques, mais aucun engagement politique. Des revenus essentiels pour une grande partie de la population, mais de nombreux perdants en perspective. Alors que la France est confrontée, avec la réforme des retraites, au plus fort mouvement de grève des trente dernières années, le gouvernement pourrait récidiver avec le revenu universel d’activité (#RUA).

    La similarité entre ces deux dossiers est d’ailleurs frappante : deux réformes « systémiques », et porteuses de « simplification » ; une complexité qui insécurise et des perdants « cachés » ; et, pour finir, des objectifs flous, plus ou moins reconnus, d’économies. Le RUA, avait prévenu Emmanuel Macron en septembre 2018, est destiné à « fusionner le plus grand nombre possible de prestations ».
    Au vu des prestations concernées par cette réforme – le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité, l’allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droit, les aides personnelles au logement (APL), l’allocation aux adultes handicapés et le minimum vieillesse –, dix-sept millions de personnes sont directement concernées. Pourtant, après six mois de concertation très technique, l’absence de réponses du gouvernement sur les principaux enjeux politiques nourrit de vives inquiétudes.

    Délibérément flou
    Fusionner des aides aussi différentes bouleversera les règles d’accès à ces droits. En modifiant les conditions de ressources, les périodes de référence et les fréquences d’actualisation des droits, ces nouvelles règles augmenteront fortement l’instabilité des droits et risquent donc de fragiliser certains allocataires. La réforme des APL, déjà repoussée par trois fois, suffit à s’en convaincre.
    Pour se prémunir de ce risque, il faudrait que le gouvernement assume deux décisions fortes : rendre le RUA automatique, et sortir du dogme du budget constant pour qu’il y ait des « gagnants ». Sinon, le bel objectif de simplification et de lutte contre la pauvreté ne sera qu’un mirage. Sinon, la réforme organisera la redistribution, non pas au profit des plus modestes, mais entre eux. Et de cela, nous n’en voulons pas, nous n’en pouvons plus.

    Sur deux sujets majeurs, le gouvernement reste délibérément flou, surtout soucieux de ne pas dépenser plus. Le sort réservé aux jeunes de moins de 25 ans, tout d’abord, alors qu’il est à l’évidence l’une des failles les plus importantes de notre système de solidarité. De dix points supérieur à la moyenne nationale, le taux de pauvreté des jeunes est le plus élevé de la population.
    Le non-recours aux prestations, ensuite : on estimait, en 2010, que près de 1,7 million de personnes éligibles au RSA n’en étaient pas bénéficiaires, soit 432 millions d’euros d’allocations non distribués. Comment y remédier si le gouvernement refuse d’expérimenter un versement automatisé du futur RUA ?

    Des perdants parmi les plus modestes
    Réformer les aides de solidarité à budget constant fera nécessairement des perdants, parmi les plus modestes. Pourquoi faudrait-il choisir entre l’étudiant en situation précaire et le travailleur pauvre ? Entre un couple de locataires dont un conjoint perçoit l’allocation adulte handicapé en plus des APL et un propriétaire modeste, proche de la retraite, percevant l’allocation de solidarité spécifique après deux années sans emploi et l’épuisement de ses droits à l’assurance-chômage ? Retranché derrière la technicité réelle d’un tel projet, et faute d’assumer le coût budgétaire d’une réelle ambition sociale, le gouvernement refuse que la création du RUA ne fasse aucun perdant.
    A se demander même si derrière les bonnes intentions affichées ne se glisse pas la tentation d’économies sur le dos des 25 % des personnes les plus modestes, alors que la réforme de la fiscalité du capital a augmenté en moyenne de 10 000 euros par an le revenu disponible des 10 % des ménages les plus aisés.

    S’agit-il, en fusionnant l’allocation de solidarité spécifique dans le RUA, de supprimer les validations gratuites de droits de retraite associées à cette prestation ? Ou encore, en faisant de l’allocation-logement et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) des « compartiments » du RUA, d’appliquer les conditions de résidence les plus strictes au détriment des résidents étrangers réguliers ? La liste déjà longue des décisions passées prises en la matière par ce gouvernement incite à la prudence.
    Un autre projet de société est pourtant possible, celui d’une société qui n’a pas honte de ses dépenses sociales et qui ne culpabilise pas les plus fragiles. Avec dix-huit départements, nous avons travaillé sérieusement à l’expérimentation d’un revenu de base. Accessible dès 18 ans, ce revenu de base automatique et inconditionnel doit assurer à toute personne un seuil de ressource décent au-dessous duquel il ne pourra pas tomber.

    Un accompagnement individuel renforcé
    En complément de ce filet de sécurité, des prestations associées à des droits spécifiques doivent demeurer pour préserver la capacité de la société à répondre à la singularité de chacun. C’est pourquoi nous nous opposons notamment à l’intégration de l’allocation aux adultes handicapés dans le revenu universel d’activité.
    Enfin, pour lutter contre la pauvreté, la garantie inconditionnelle d’un revenu décent doit être couplée avec un accompagnement individuel renforcé. Depuis plusieurs années, faute de compensation suffisante par l’Etat des allocations de RSA versées par les départements, les budgets destinés aux politiques d’insertion n’ont cessé de diminuer.

    Avec la réforme de l’assurance-chômage, le nombre d’allocataires risque d’augmenter fortement, et les moyens que les départements pourront consacrer à l’accompagnement de chacun, de diminuer de nouveau. Il est urgent de mettre fin à cette absurdité qui fait que les moyens pour l’accompagnement social et professionnel diminuent mécaniquement quand les besoins augmentent.
    En refusant les principes d’inconditionnalité et d’inclusion des jeunes, en refusant d’assumer le coût budgétaire d’une telle révolution, le gouvernement condamne le revenu universel d’activité. Faute d’appliquer dans le champ social sa propre religion de l’innovation, le gouvernement manquera totalement la cible de la lutte contre la pauvreté.

    Stéphane Troussel est président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis depuis 2012 et secrétaire national du Parti socialiste en charge des nouvelles solidarités.