Rumor

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  • La France en pénurie de masques : aux origines des décisions d’État
    Analyse factuelle et sourcée d’Arnaud Mercier
    http://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-detat-13

    À l’heure de la polémique sanitaire interne à la pandémie – l’absence de masques de protection efficaces pour les soignants et pour le personnel indispensable afin de faire fonctionner l’économie du pays même en temps de crise –, il est essentiel de rétablir la chronologie des faits qui a conduit notre pays à se désarmer face au risque de pandémie.

    Sans doute qu’après le retour à une ère de sécurité sanitaire, des commissions d’enquête vont se créer pour faire toute la lumière sur les faits. Avec des moyens d’investigation autres que les nôtres aujourd’hui. Mais déjà, la lecture complète de nombreux documents officiels publiés permet de rétablir une archéologie des choix de politique publique.

    Pour faire ce travail, il faut se garder d’une approche simpliste, personnalisée, excessive et expiatoire. Pas simpliste et personnalisée, car on ne trouvera pas un texte signé un jour dans un bureau obscur par un ministre ou un haut fonctionnaire et qui aurait dit « maintenant plus de stocks de masques ». Pas excessive et expiatoire non plus, car il ne s’agit pas ici de chercher un bouc émissaire commode pour expier ce qui est plus vraisemblablement le fruit de fautes collectives.

    La plupart des décisions ont été prises dans le cadre d’une chaîne de responsabilités partagées et nous conduisent à la situation actuelle, quand beaucoup parlent désormais de chaîne d’irresponsabilités.

    Nous focaliserons notre attention uniquement sur la question de l’équipement de l’État en masques, à la fois en masques chirurgicaux réputés être suffisants pour les malades qui ne postillonnent pas ainsi à la face des autres, mais aussi en masques dits FFP2, qui garantissent une véritable barrière de protection faciale pour toutes les personnes exposées aux projections de gouttelettes porteuses de virus, à commencer par l’ensemble du corps médical.

    Pour retracer cette généalogie d’une suite de décisions qui ont désarmé la France en masques face à une pandémie pourtant annoncée comme certaine dans le futur par de nombreux experts, nous suivrons un strict récit chronologique qui commence en 2005 avec un rapport parlementaire d’alerte sur les risques épidémiques présents et à venir qui oblige l’État français à s’organiser en conséquence, pour anticiper le pire, selon le célèbre adage : « gouverner c’est prévoir ».

    Le récit sera forcément un peu long, mais comprendre la généalogie de faits aussi graves exige un peu de temps, surtout si on veut ajouter des citations concrètes.

    [2005-2009] Une analyse en plusieurs temps
    Une anticipation du risque
    Le masque, une arme jugée efficace en cas d’épidémie
    La France s’équipe massivement en masques
    [hiver 2009-2010] L’épidémie H1N1, le point de bascule
    [2011-2015] Le début du désarmement sanitaire
    Le masque FFP2 ne serait plus utile ?
    Bas les masques ! Ou le piège qui se referme

    Le principe comptable supplante le principe de précaution
    La préoccupation managériale et uniquement comptable finit donc ici de prendre le dessus et conduit à l’oubli des raisons mêmes pour lesquelles on prévoyait de faire ces stocks, selon une logique du « au cas où », en ne prenant jamais le risque d’être à la merci d’une rupture d’approvisionnement chez les industriels français ou étranger par exemple.

    Car le court-termisme de la vision ainsi défendue oublie totalement qu’une pandémie, par définition, est une épidémie mondialisée, qui peut provoquer des ruptures des chaînes d’approvisionnement. Du coup, même l’appareil industriel national peut-être gravement perturbé, notamment si les ouvriers en charge de la fabrication des futurs masques refusent de se rendre dans les usines pour une légitime crainte pour leur santé
    [...]
    Au principe de précaution : stocker pour être sûr d’avoir en cas de crise, car c’est vital, se substitue la logique : être sûr de ne pas trop stocker car c’est essentiel de ne pas dépenser plus qu’il ne faut.

    Raisonnement critiqué aujourd’hui par nombre d’experts, quand par une approche bureaucratico-comptable, s’éloignant de toute vision politique anticipatrice, on a oublié, étape par étape, les alertes sanitaires majeures qui prévalaient à ces choix de stocks préventifs de masse.

    L’État s’est donc désarmé peu à peu, au risque de mettre en danger les citoyens, à commencer par les professionnels de santé non hospitaliers, tout aussi directement en contact avec les malades que leurs collègues des hôpitaux.

    Tout ceci s’est fait avec la parfaite bonne conscience de hauts fonctionnaires et d’un personnel politique de droite et de gauche qui avaient à cœur de participer à un « bonne gestion des deniers publics », oubliant peu à peu les finalités premières, engagés qu’ils étaient sur un chemin (les politistes parlent de « path dependancy ») qui les font aller toujours plus loin vers un nouvel objectif dans lequel ils sont entrés, en perdant de vue le point de départ.

    Ceci oblige les actuels membres du gouvernement à expliquer péniblement, au détriment des recommandations de l’OMS et à rebours des cas asiatiques, que le masque ne sert à rien pour une grande partie de la population ou qu’on ne sait pas s’en servir. Et que ce serait donc à propos que l’État n’adopte pas une stratégie « asiatique » de protection de ses citoyens par des masques et du gel de désinfection massivement distribué, couplée à des tests massifs.

    Les autorités placent aussi de nombreux travailleurs et leurs employeurs face à une injonction contradictoire : « nous vous demandons d’aller travailler » mais « nous ne pouvons pas vous fournir les moyens garantissant votre protection minimale ».

    Les commandes annoncées samedi de 250 millions de masques ne changent rien au fait qu’une drastique remise à plat de notre corps de doctrine préventive sera nécessaire avant que la prochaine pandémie ne déferle. Il faudra tirer toutes les conséquences de la crise actuelle.

    #COVID19 #coronavirus #masques #H1N1

    • On n’en a pas parce qu’un jour on en a eu trop qui n’ont servi à rien.

      "La France a acquis d’importants moyens de protection, déclare Roselyne Bachelot le 1er octobre 2009 : un milliard de masques anti-projections, destinés aux malades, 900 millions de masques de protection, dits « FFP2 », pour les personnes particulièrement exposées et 33 millions de traitements antiviraux."

      Face à la polémique, elle doit s’expliquer devant deux commissions d’enquête à l’Assemblée nationale et au Sénat. « J’ai eu le sentiment d’avoir fait mon devoir », explique aujourd’hui Roselyne Bachelot. "Mais cela a été pour moi dix ans d’épreuves et de moqueries incessantes. J’ai été l’objet d’un incroyable « bashing » par une commission d’enquête parlementaire qui s’est érigée en tribunal. Il y a eu un rapport cinglant de la Cour des comptes stigmatisant les dispositions de prévention que j’avais prises, qui se sont révélées évidemment surdimensionnées après coup, mais quand l’épidémie démarre et que l’OMS sonne le tocsin le 24 avril 2009, la situation est décrite comme extrêmement grave, elle va s’adoucir par la suite, mais l’épidémie a quand même fait 600 000 morts sur la planète. Pour une « grippette » c’est quand même beaucoup."

      Juger d’un risque en raison d’un précédent, c’est pas hyper malin... #in_retrospect.