• Carnets de réclusion 1 - Coronavirus et dispositifs de contrôle social : l’exemple chinois | Lundi Matin
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    (extraits)

    Selon l’héritage de cette pratique, les personnes bien notées se verront offrir des « privilèges » : priorité aux admissions scolaires et à l’emploi, par exemple. Facilité d’accès aux prêts et au crédit à la consommation. Location de vélos et de voitures sans dépôt de garantie. Salle de gymnastique gratuite. Transports publics moins chers. Réduction des temps d’attente dans les hôpitaux. Promotion accélérée au travail. Priorité dans la file d’attente pour un logement social. Allégements fiscaux.

    Dans la ville de Hangzhou, les « bien notés » ont un accès prioritaire aux offres d’emploi chez Tencent, à des remises sur le prix des smartphones achetés chez Alibaba, à des coupons de réduction sur le site d’e-commerce TMall (possédé par Alibaba) ou encore à des nuits d’hôtel gratuites lors de voyages avec AliTravel.

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    La ville de Pékin prévoit de mettre en place son propre système de notation et de « listes noires ». Ainsi, selon une déclaration officielle de la capitale chinoise, « avant la fin de 2020, sera mis en place un projet de points de confiance personnels, couvrant l’ensemble de la population résidente […] la non-fiabilité dans un domaine entraînera des restrictions dans tous les domaines, de sorte qu’il soit difficile pour les personnes non fiables de n’avancer ne serait-ce que d’un seul pas [8]. »

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    Le processus de ludification (ou de gamification) est au cœur du système chinois. Le gouvernement tente ainsi de faire passer l’obéissance totale pour un jeu permanent dans lequel tout le monde peut gagner quelque chose, comme dans les casinos en ligne. C’est une méthode de contrôle social déguisée en jeu vidéo.

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    La vitalité du crédit social est encore plus manifeste dans les petits villages de l’agglomération. Une centaine d’entre eux disposent déjà d’une ’place du crédit social’, où des panneaux ludiques et colorés détaillent les commandements, affichent les visages des citoyens méritants et précisent les points ajoutés ou retirés durant le mois écoulé [12].

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    A la différence de tous les fichiers auparavant constitués par les États, leurs polices, le mouvement eugéniste, les nazis ou les milices, le système de crédit social est visible, consultable : les individus sont parfaitement informés de cette surveillance continue qui s’affiche sur leurs écrans avec un score à améliorer. En novlangue néolibérale, cela s’appelle un « scoring comportemental interactif et ludique [17] ».

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    Ce solutionisme emprunte toujours à l’arsenal techno-scientifique les concepts, les idées et les moyens qui nous ont précisément conduits au bord du gouffre. Il en est ainsi du big data et de l’intelligence artificielle : après avoir été créés pour l’armée, développés pour le commerce puis l’exploitation en ligne de travailleurs précarisés, voilà que conformément à leur possibilité de gérer et de catégoriser un grand nombre de données et de comportements, ils sont logiquement utilisés pour le contrôle social et politique des populations.

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    Imaginez un monde où votre accès aux services publics, à une connexion Internet ou à certains emplois seraient directement corrélés à une notation qui vous collerait à la peau, partout, tout le temps, exactement comme un chauffeur Uber ou un livreur eBay. Noter tous les humains, en permanence, dans un projet de management implacable.

    Une dictature panoptique mathématiquement établie, technologiquement répandue, une organisation scientifique de la surveillance qui aurait pour but d’enrôler la majorité des populations, tout en laissant survivre quelques archipels-témoins de l’ancien monde.

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    si l’on résume l’argumentaire, cela donne : « Ce pays n’étant pas une démocratie, l’outil numérique devient un incroyable pouvoir de contrôle policier ». Mais détestable en Chine, serait-il acceptable en Occident ? Tout dépendrait-il de qui s’en sert et comment ? Une litanie renouvelée à dessein qui masque la nature intrinsèque du numérique : tout numériser, ce qui est en parfaite congruence avec la propension du capital à tout valoriser, avec l’aspiration des États à « gérer les troupeaux » ou avec la prétention du mode de connaissance scientifique à rendre compte du réel par des abstractions commensurables.