• Confinement : dans les quartiers populaires, attention aux contrôles sous tension
    https://www.mediapart.fr/journal/france/280320/confinement-dans-les-quartiers-populaires-attention-aux-controles-sous-ten

    Tandis que certains se plaisent à imaginer des passe-droits pour les habitants des banlieues, les acteurs associatifs ont l’inquiétude inverse. Dans un communiqué commun diffusé ce vendredi, plusieurs organisations de défense des droits (Fidh, Human Rights Watch, LDH, associations musulmanes, syndicats étudiants, etc.) rappellent que « les contrôles de police ne doivent être ni abusifs, ni violents, ni discriminatoires » et « appellent le ministre de l’intérieur et le directeur général de la police nationale » à y veiller.

    Ces organisations recensent plusieurs vidéos postées sur Twitter, « après seulement dix jours de confinement », « en provenance d’Asnières, de Grigny, d’Ivry-sur-Seine, de Villeneuve-Saint-Georges, de Torcy, de Saint-Denis et d’ailleurs en France, qui montrent des habitant·e·s apparemment frappé·e·s, gazé·e·s, et, dans un cas, une personne se faisant heurter par un policier à moto. Les vidéos semblent aussi montrer qu’elles/ils n’opposaient ni violence, ni résistance aux forces de l’ordre. Dans certains cas, les propos proférés par les forces de police avaient un caractère xénophobe ou homophobe ».

    De son côté, SOS Racisme « rappelle que le confinement est particulièrement dur à vivre pour certaines familles dans les quartiers populaires au regard des conditions de logement. La peur de sortir que pourraient induire certains comportements policiers ne doit pas s’ajouter à un climat déjà particulièrement anxiogène ».

    Mercredi, l’Observatoire des libertés publiques, émanation du Syndicat des avocats de France et de la Ligue des droits de l’homme, alertait déjà sur « des témoignages vidéo, oraux ou écrits » faisant état de « réactions disproportionnées des forces de l’ordre ». Et ajoutait que les quartiers « dans lesquels les situations sociales et matérielles des habitant·e·s rendent le confinement le moins supportable sont aussi ceux dans lesquels le non-respect des règles semble susciter les réactions les plus sévères et disproportionnées de la part des autorités ».

    En ce qui concerne la vidéo tournée à Asnières, qui montre un agent de police mettant un coup de pied à un piéton et l’aspergeant de gaz lacrymogène, la préfecture de police a défendu cet usage de la force auprès de 20 Minutes : « Le contrevenant s’est mis à postillonner en direction du fonctionnaire qui s’est servi de sa jambe et de gaz lacrymogène pour éviter tout risque de contamination. »

    D’autres scènes de ce genre ont été filmées ces derniers jours, comme à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), où Ramatoulaye B., âgée de 19 ans, sortie sans attestation, a été « tasée » et plaquée au sol. La jeune femme dénonce aussi des coups et des insultes. Plusieurs incidents et comportements violents de policiers en intervention ont également été rapportés aux Ulis (Essonne).

    À la suite d’un contrôle survenu dans cette ville, une plainte pour violences en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique, avec usage ou menace d’une arme, a été déposée vendredi auprès du parquet d’Évry. Mardi vers 17 h 30, Sofiane, 21 ans, quittait le domicile de son père pour se rendre chez sa mère afin de prendre une douche et de rassembler ses affaires avant de prendre son service – il est livreur chez Amazon. Alors qu’il se déplace sans attestation, Sofiane croise des policiers de la BAC et prend la fuite pour échapper au contrôle.

    Deux vidéos, tournées par des habitants, montrent la suite. Le jeune homme est interpellé sans ménagement puis conduit sous un porche. « Les agents n’avaient aucune raison de l’emmener de ce côté-là, alors que leur véhicule est garé de l’autre côté, si ce n’est pour se mettre à l’abri des regards », estime Samim Bolaky, l’avocat de Sofiane, qui relate les faits reprochés aux policiers dans sa plainte. « La scène se déroule devant la porte du hall. Les policiers ont tenté de l’ouvrir mais elle était fermée. L’un des policiers lui touche les parties intimes et lui dit : “Tu aimes ça, salope.” Un autre lui met une main sur la bouche, tandis que Sofiane reçoit une pluie de coups. Il mord la main par instinct. Les coups continuent jusqu’à ce qu’il tombe par terre. »

    Sofiane est ensuite conduit au commissariat. « Dans la voiture, ils lui disent : “On va te ramener dans la forêt et on va te brûler, t’es qu’une petite pute” », poursuit son avocat. Sa garde à vue pour rébellion est levée le soir même, sans poursuites. Samim Bolaky estime qu’« avec le véhicule, le lieu et l’heure, il doit être très facile d’identifier les policiers qui portent des coups, dont l’un était cagoulé ». Le lendemain, la mère de Sofiane a reçu une contravention pour avoir conduit son fils à l’hôpital sans être munie d’une attestation. Un médecin généraliste a finalement accordé quatre jours d’ITT au jeune homme.

    Pour Samim Bolaky, cet épisode est aussi révélateur qu’inquiétant. « Je trouve extrêmement préoccupant que des personnes tout à fait honnêtes vivent dans la peur de croiser la police. Dans les quartiers populaires, les contrôles sont source de crispation. Sofiane était apeuré avant même de croiser les policiers, il sait à qui il a affaire. Ce sont des agents défavorablement connus des habitants, qui ont une réputation de violence. »

    Ces derniers jours, plusieurs syndicats de police ont de leur côté menacé de cesser les contrôles si les agents ne reçoivent pas le matériel de protection nécessaire.