• Covid-19 et médias : où sont les femmes ?

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    Depuis plusieurs semaines, et ce aussi bien dans le choix de ses communicants que de son style discursif, le gouvernement renvoie une image masculine de la crise. Au risque d’effacer le rôle et la parole des femmes.

    Qui sont les principaux acteurs politiques sur cette scène médiatique ? Qui sont ceux qui ont articulé les discours clés, les conférences de presse les plus commentées ? Le Président lui-même ; son premier ministre, Édouard Philippe ; Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé ; Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, parmi d’autres.

    Tandis que les quelques discours de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, semblaient se limiter à quelques ‘bourdes’ et autres controverses, la prise de parole des femmes politiques a plus que jamais paru amoindrie.

    Par ailleurs, depuis le discours présidentiel du 16 mars 2020, une rhétorique guerrière s’est mise en place, qu’analysait ainsi le billet de Maxime Combes (« Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. Et c’est bien assez. », 20 mars 2020) :

    « Cette référence à la « guerre » convoque par ailleurs un imaginaire viril peuplé d’héroïsme masculin – bien que largement démenti par les faits – et du sacrifice qui n’a pas lieu d’être. Face au coronavirus – et à n’importe quelle pandémie – ce sont les femmes qui sont en première ligne : 88 % des infirmières, 90 % des caissières, 82 % des enseignantes de primaire, 90 % du personnel dans les EHPAD sont des femmes. Sans même parler du personnel de crèche et de garderie mobilisés pour garder les enfants de toutes ces femmes mobilisées en première ligne. »

    Mais cette invisibilité, ce silence des femmes sont-ils les seuls faits de la communication du gouvernement ?

    En 2019, une étude de l’INA sur la place des femmes à la radio et la télévision[i] concluait qu’on les y entendait deux fois moins que leurs homologues masculins.

    Dans d’autres pays, tel que le Canada où on a dénoncé à multiples reprises la sous-représentation de la parole des femmes dans le discours public, des chiffres similaires ont été avancés et des plans d’action mis en place pour assurer que la perspective des femmes soient représentée équitablement aussi bien dans les médias[ii] que dans la société.

    Pourtant, encore trop peu d’expertes laissent entendre leur voix sur les ondes et dans les pages de nos quotidiens. Est-ce par timidité, par manque de confiance, par inertie, par manque de temps, de place ou de crédibilité ? Tout cela à la fois ?

    Pour trouver les raisons de leur mutisme ou de leur silence, faudrait-il aller voir ailleurs ? Par exemple, dans la manière dont ces femmes sont dépeintes dans les médias, dans les représentations affichées de leurs rôles.

    Ainsi, une des méthodes d’analyse de discours en linguistique consiste à regarder l’usage des mots dans un corpus de textes : leur répétition et le contexte dans lesquels ils apparaissent.

    Prenons, pour l’exemple, les occurrences du mot « femme » dans la première page des sites de trois grands quotidiens et leur environnement linguistique et thématique. On constatera que dans les pages du 29 mars, les sites du Monde et du Figaro n’en présentaient aucune. Sur les six occurrences comptées dans la première page du site de Libération, on trouvait :

    Un article reportant la plus grande vulnérabilité des hommes au Virus (« La vulnérabilité au Covid-19 : une affaire de sexe et de genre ? », tribune du 28 mars)
    Une tribune d’Un collectif de sénatrices et de sénateurs : « Coronavirus et confinement : femmes et enfants en danger » (28 mars 2020)
    Les autres occurrences apparaissant dans un dossier intitulé « Les Violences faites aux femmes »

    Notons que dans ces deux derniers cas, si les femmes sont le sujet de ces articles, elles n’en sont pas tout à fait sujets, puisqu’en tant que victimes, elles sont plutôt objets (de ces violences). S’il n’y a aucun doute qu’il est crucial d’informer sur ces points, il n’en demeure pas moins important de mettre de l’avant le(s) rôle(s) que les femmes jouent dans cette crise.

    Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe invitée de Patricia Martin sur France Inter ce matin du 29 mars qu’elle interrogeait également sur les violences conjugales, a rappelé l’urgence de revaloriser les statuts et salaires des femmes assurant les métiers du soin, c’est-à-dire de celles qui prennent soin d’autrui (malades, personnes âgées, enfants), travailleuses invisibles grâce à qui la société « tient et s’entretient » et dont on réalise aujourd’hui le rôle vital. Je la cite en clôture ce billet :

    « Il faut que nous prenions en compte les données genrées de cette crise et que nous anticipions pour qu’au moment où nous sortirons de cette crise, nous n’oublierons pas les femmes dont nous avons parlé ce matin et qu’il va falloir continuer d’accompagner. »

    … et d’écouter.

    Quelle blague ! Comment est-ce possible de conclure par « continuer d’accompagner et d’écouter les femmes » alors qu’elle parle de leur effacement tandis que c’est elles qui sont « 88 % des infirmières, 90 % des caissières, 82 % des enseignantes de primaire, 90 % du personnel dans les EHPAD sont des femmes. Sans même parler du personnel de crèche et de garderie mobilisés pour garder les enfants de toutes ces femmes mobilisées en première ligne. » Tu parle d’une écoute.

    #backlash #manspreading #invisibilisation_des_femmes #misogynie