• Un pantalon usé, quatre chemises, quelques paires de chaussettes, et la petite valise est prête pour le voyage. L’objet le plus précieux a été caché entre les vêtements : une photo encadrée de son épouse Oana, 28 ans, et de leur petite fille Erika, 4 ans. Adrian Stanica se prépare pour le départ que la crise du coronavirus avait retardé. Direction : l’Allemagne, où il est attendu pour ramasser des asperges.

      Agé de 29 ans, ce jeune père de famille est un employé #saisonnier qui fait la navette entre l’est et l’ouest de l’Europe en fonction des travaux agricoles. « Nous sommes confinés à la maison depuis la mi-mars, affirme-t-il. Ce coronavirus a tout bloqué. J’ai compris qu’on devait rester enfermés chez nous pour empêcher le virus de se répandre. Mais il faut nous laisser partir pour travailler. Je n’ai pas d’autres solutions pour nourrir ma famille. Que faire alors ? Se bouffer les uns les autres enfermés dans nos maisons ? »

      La bonne nouvelle est tombée le 9 avril, lorsque les autorités roumaines ont donné le feu vert pour les départs vers l’Allemagne. Le 2 avril, les autorités allemandes ont décidé d’ouvrir leurs #frontières aux saisonniers de l’est de l’Europe pour sauver leurs récoltes d’asperges. Selon le syndicat agricole Deutscher Bauernverband, l’Allemagne accueille près de 300 000 #travailleurs_saisonniers par an pour son #agriculture, dont la majorité vient de Roumanie et de Pologne.

      Main-d’œuvre bon marché

      Selon l’Institut démographique de Vienne, depuis l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne (UE), environ 18 millions de travailleurs de l’ancien bloc communiste sont partis vers l’ouest à la recherche d’un travail mieux rémunéré. Depuis l’adhésion de la Roumanie à l’UE, environ 4 millions de Roumains sont partis travailler sur les marchés occidentaux, soit un cinquième de la population. Il y a ceux qui se sont installés et ont emmené leurs familles, et il y a ceux qui viennent pour effectuer des travaux saisonniers.

      Cette main-d’œuvre bon marché est une manne pour l’agriculture occidentale mais l’arrivée du Covid-19 a changé la donne. Une bonne partie des travailleurs de l’Est sont revenus dans leurs pays d’origine. En Roumanie, plus de 200 000 personnes qui travaillaient en Italie et en Espagne sont revenues au pays, au risque d’y faire grimper le nombre de contaminations. Et les saisonniers attendus à l’Ouest se sont trouvés bloqués à l’Est.

      Ionut Stanica fait la navette entre l’Est et l’Ouest depuis cinq ans. « J’ai ramassé des pommes de terre et des fraises en Espagne, puis des pommes et des poires en Italie et des tomates en Belgique, raconte-t-il. J’ai fait le tour de l’Europe, maintenant je suis chez moi partout. Mais ma famille reste en Roumanie parce que je ne veux pas quitter mon pays. Je veux seulement travailler et je le fais là où il y a du travail. »

      L’apparition du coronavirus a changé ses plans. Il s’apprêtait à partir en Espagne avec quelques amis, mais a dû annuler son billet d’avion : les pays où il avait des contacts pour travailler ont fermé leurs frontières.

      « Je suis expert en débrouillardise »

      L’ouverture des frontières allemandes est pour lui une aubaine, même s’il ne parle pas la langue. « Je ne vais pas en Allemagne pour faire un doctorat, j’y vais pour travailler la terre. Je vais me débrouiller, je suis expert en débrouillardise. » Après son arrivée en Allemagne, Ionut Stanica devra attendre deux semaines avant de travailler dans les champs. La loi prévoit une période de #quarantaine et des #examens_médicaux avant de commencer à travailler.

      D’autres pays pourraient emboîter le pas à l’Allemagne. L’Italie est à la recherche de 370 000 saisonniers pour sauver ses récoltes d’asperges et de fraises, selon l’organisation agricole Coldiretti. Le 6 avril, l’ambassadeur roumain en Italie, George Bologan, a rencontré la ministre de l’agriculture, Teresa Bellanova. « La Roumanie est prête à collaborer avec l’Italie pour trouver une solution, a déclaré M. Bologan. Nous avons déjà un certain nombre de travailleurs roumains en Italie qui ont perdu leur #emploi à cause du coronavirus. Ceux-ci peuvent d’ores et déjà être réorientés vers les travaux agricoles. » Plus de 15 000 saisonniers roumains devraient renforcer les effectifs des saisonniers en Vénétie.

      Dès l’annonce de l’ouverture des portes de l’Allemagne, l’aéroport de Cluj, dans le nord-ouest de la Roumanie, a été pris d’assaut par 1 800 saisonniers souhaitant embarquer dans l’un des douze charters que les agences de recrutement avaient réservés pour l’Allemagne. Pris de court, les responsables de l’aéroport n’ont pas réussi à faire respecter les consignes sanitaires sur la distanciation physique et le port du masque par des travailleurs qui s’étaient massés aux portes d’embarquement.

      Il a fallu l’intervention du premier ministre, Ludovic Orban, pour rétablir l’ordre dans les aéroports. Depuis le 10 avril, les opérateurs doivent demander une autorisation gouvernementale préalablement à tout vol, augmenter les délais d’embarquement et organiser la mise à distance des voyageurs. « Ils ont raison de le faire, déclare Ionut Stanica. Après un mois de confinement les gens sont désespérés et veulent partir au plus vite, ils oublient les règles. On ne demande pas la lune, ce que l’on veut c’est travailler pour nos familles. »

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      #UE