Témoignage de Pierre Vermeulin, ancien directeur-adjoint du secteur chimie au CNRS (Intervention publiée dans un quatre pages CGT, novembre 2002, cité dans Sanofi : Big Pharma, Syllepse, 2014 ).
Que les chercheurs, les techniciens, les employés de Romainville aient lutté pendant toutes ces années pour la sauvegarde de leur emploi, c’est évident. Mais au-delà de cette résistance indispensable, ces travailleurs ont su opposer à la logique de régression, de repliement et de fermeture, celle de l’extension de leur activité en construisant un projet novateur qui corresponde à des besoins urgents dans le domaine de la santé. Les raisons de fermer tout ou partie du centre de Romainville sont essentiellement celles de la rentabilité : les firmes pharmaceutiques, en particulier Aventis, ne manquent pas encore pour l’heure, d’équipes de recherche performantes capables de découvrir de nouvelles molécules et de les développer. Cependant leur travail n’est pris en compte par les firmes que dans la mesure où il peut déboucher, avec une quasi-certitude, sur un retour élevé sur investissement. Il s’ensuit un rétrécissement de l’activité sur les créneaux jugés les plus rentables, sur des fermetures de sites et à terme sur le démantèlement d’équipes de recherche et de production. C’est ce que vivent ceux de Romainville. Avec le projet Néréis, les travailleurs du centre ont mis en avant une tout autre logique. Ils ont opposé à cette recherche du profit maximal, la responsabilité de l’entreprise dans la prise en charge des besoins actuels de la santé publique, aussi bien dans les pays développés que dans ceux qui ne peuvent actuellement faire face aux maux qui les frappent. Faire de Romainville, ou du moins d’une partie du site, un centre de développement de nouvelles molécules, c’était offrir un outil pour élargir l’innovation thérapeutique. Ce pouvait être un lieu d’accueil, de test et de développement des idées nouvelles issues de laboratoires publics ou privés qui n’ont pas ou peu les moyens de passer de la recherche à l’application. Ne mettant pas en priorité la rentabilité financière, le projet permettait d’ouvrir des voies dans des domaines où le profit ne peut être garanti, notamment ceux des maladies qui frappent le tiers-monde. Ce pouvait être un lieu de formation pour des équipes de pays en voie de développement qui aspirent à une autonomie scientifique et industrielle dans l’industrie pharmaceutique. Dans un moment où il est de bon ton de prôner la valorisation scientifique et la promotion de l’innovation, les propositions des travailleurs de Romainville auraient dû rencontrer un accueil plus militant de la part des ministères responsables, ceux de la recherche et de la santé. Un engagement de l’État, et des organismes de recherche qui en dépendent, aurait affirmé l’intérêt public du projet et aurait contribué à mieux placer Aventis devant ses responsabilités. Les discours en faveur de l’entraide envers les pays du Sud auraient trouvé plus de crédibilité. Utopie, alors, dépourvue de toute référence à la réalité. C’est certainement ce que d’aucuns voudraient faire croire. Ce sont bien pourtant ces propositions nouvelles qui collent à une réalité qui commence à être bien connue. Il faudra bien un jour qu’en matière de médicaments, l’intérêt des millions des personnes en attente de traitements, soit reconnu prioritaire sur le fameux retour sur investissement. L’utopie est bien ici l’annonce de l’avenir qu’il faut construire. La lutte de ceux de Romainville est exemplaire, elle a su lier la lutte pour la sauvegarde de l’emploi à la lutte pour une nouvelle conception de l’entreprise qui doit œuvrer à produire pour les besoins des populations. C’est certainement une avancée considérable dans la stratégie de lutte contre la régression sociale dont chacun peut faire l’expérience de nos jours. Il ne s’agit pas seulement de résister mais aussi de commencer à tracer les voies du futur. La loi du profit maximal n’est pas encore révoquée, les intérêts des grandes firmes et de leurs actionnaires sont encore dominants. Cependant dans les luttes actuelles de nouvelles possibilités se créent.