MNA COVID 19

Groupe pluridisciplinaire de recherche sur les Mineurs Non Accompagnés - Institut Convergences Migration

  • Carnet d’une travailleuse sociale auprès des MNA dans un centre à Gênes - Louise MO

    La vie au centre depuis le coronavirus, épisode 1️⃣.

    L’autre soir, je rentre chez moi après six heures de garde. Physiquement six heures, mais en vrai, les dix-huit restantes tu penses quand même à tes jeunes, non ? Du coup en rentrant, je repense à ma journée, à ces jours-ci en général. 22 heures passées, rues vides. Seule avec les mouettes et les étoiles. Une belle soirée, je fais un détour par le port sans me faire prendre par la police... Envie de voir la mer. En ces jours où l’espace se fait toujours plus restreint, je voudrais l’occuper, et parler de la vie qui continue, dans les lieux oubliés. Moi qui ne crie jamais, je voudrais juste faire crier le clavier. Moi c’est Louise, mais au centre les gars m’appellent Louisa, ou Lousie, ou Lou... Tout me va. Plus d’un an que je travaille dans cette structure, auprès de ceux que le système désigne comme des mineurs étrangers non accompagnés. Plus d’un an que je partage le quotidien d’une vingtaine d’ados. Une vingtaine de vies d’Égypte, de Tunisie, du Sénégal, de Gambie, de Somalie, du Nigeria, du Mali, d’Albanie. Un printemps, un été, un automne, un hiver. Et maintenant, le coronavirus. La vie au centre a changé. Moins de bureaucratie, plus de temps pour s’asseoir avec un et lui demander comment il va. Au quotidien qui se poursuit, s’ajoute désormais l’insolite. Avec la commande de la nourriture, du kit d’hygiène et des draps, on y glisse dorénavant une plutôt drôle : celle du bureau de tabac. Feuilles à rouler, filtres, tabac ? « Pas des filtres normaux, je veux des ultra-slim ! » - « Pas ces feuilles, pour moi les autres ! » Ce virus a fait taire le téléphone, l’ordinateur, l’imprimante. Mais pas la voix de ces jeunes, pas leur envie de continuer à vivre, d’être des adolescents, des enfants qui font les cons, se connectant sur la plateforme de l’école et validant tous les devoirs sans les avoir faits... Partie de volley, tournoi de babyfoot, défilé dans le jardin. Et de nouveau, « Louisa viens jouer ! » Je le lisais ailleurs : « la liberté est suspendue ». interrompue. Mais elle n’a pas disparu. Tôt ou tard, elle reviendra. Ce virus n’a fait que fermer le portail. Mais on ouvre les fenêtres : venez écouter la vie qu’il y a là-dedans. Combien d’énergie et de force ont ces ados, qui ont déjà vécu trop de choses. Bien sûr qu’on a un peu peur. Mais ces enfants la transforment en quelque chose de beaucoup plus fort, qu’on contrôle, et qu’on fera pas disparaître : l’espoir envers l’avenir. Comme le personnel de santé, les caissiers, et tant d’autres, les éducateurs, les psychologues, les travailleurs sociaux aussi continuent. Et les jeunes aussi. Surtout eux. Et je me suis trompée, c’est pas un centre, c’est une maison. Et à la maison, la vie ça ne s’arrête pas, ça se célèbre. ✊

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