• Deus ex machina - Dominique Collin | Revue Etudes
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    au fur et à mesure que se prolonge le confinement, s’allonge le catalogue des messes, prières, récitations de chapelet « Zoom » ou « Facebook », produits religieux auxquels s’ajoutent, puisqu’il est dans la nature de la technique de tirer à elle tout le réel, même le plus bêtement dévot, des bénédictions du Saint-Sacrement ou d’eau bénite transmises depuis les toits, voire d’hélicoptères (exemples « édifiants » du « deus ex machina » théâtral).

    Mais d’où vient cette fascination religieuse pour les « produits machiniques » au point que nombreux sont les clercs à se féliciter de la « grande inventivité » déployée sur les réseaux sociaux ? (Le pape François a été plus inspiré d’inviter les chrétiens à la « créativité de l’amour ».) Pour au moins deux raisons, dont la première est pragmatique. Dans son dernier ouvrage, Jean-Luc Nancy montre que la chrétienté poursuit à sa manière le modèle de l’empire romain qui s’était construit comme une entreprise par le truchement de la domination, de la richesse et de la technique[2]. Or, maintenant que le christianisme (la « firme Jésus-Christ », comme Kierkegaard l’avait férocement rebaptisé) est, du moins en Occident déchristianisé, dépossédé de sa domination (la « cure collective » d’une épidémie est définitivement passée des prêtres aux épidémiologistes et au corps médical) et de sa richesse (l’épidémie ne faisant pas les affaires du denier de l’Église), il lui reste la technique. Bien que le confinement la contraint à une sorte de « chômage technique » insupportable, l’Église trouve, grâce aux artifices de la technique, les moyens d’assurer une maintenance sans faille et sans interruption (c’est-à-dire sans tempus clausum[3], qui est le temps rond offert au silence, le temps lent de la patience, qui ne peut être ni abrogé ni abrégé). Elle se filme et restitue son image (et elle se montre sans fard comme on pensait ne plus la voir, blanche, mâle et sacerdotale). Ce qui entraîne l’Église, plus que jamais, à apparaître comme « l’esprit d’un monde sans esprit » (Marx). Autrement dit, c’est comme une revenante qu’elle se montre sur nos écrans (le « génie » romain du catholicisme, c’est sa capacité machinale à revenir quand on le croit fini, pensez aux artifices déployés par le baroque de la Contre-Réforme).

    Mais il y a une autre raison, plus fondamentale encore et qui tient à la proximité entre la croyance et l’artifice.

    #numérisation de l’#église