Compte tenu de la proximité entre Covid-19 et BatCov-RatG13, l’hypothèse principale reste que la première contagion homme-animal a eu lieu en Chine, peut-être dans la province de Yunnan. Dans ce cas, le patient zéro chinois aurait infecté directement ou indirectement quelques voyageurs de nationalités variées, avant que le virus ne mute et ne se propage rapidement à Wuhan, puis dans le reste du monde.
Cependant, rien n’interdit d’envisager d’autres hypothèses. En effet, depuis 2002, la possibilité d’une nouvelle épidémie liée aux coronavirus a motivé certains instituts de recherche à travailler sur la menace. La première épidémie de SRAS ayant éclaté en Chine, de nombreux prélèvements ont été effectués afin d’isoler les virus circulant chez les chauves-souris chinoises et de nombreux instituts ont reçu ces prélèvements à travers le monde.
Une fois dans ces laboratoires, ces virus sont cultivés pour permettre aux chercheurs d’étudier leurs propriétés sous toutes les coutures. En fonction de la question posée, les cultures se font soit sur des cellules pulmonaires de chauve-souris ou d’humains, soit sur des animaux vivants, tels que les primates ou les souris. Dans certains laboratoires de type P3 ou P4, il arrive même que ces virus naturels soient modifiés directement pour les rendre plus agressifs — approche qui a suscité de fortes polémiques il y a quelques années.
Nonobstant les élucubrations du Pr. Montagnier, relayées volontiers par les médias d’extrême-droite, on sait avec une quasi-certitude que Covid-19 n’a jamais été modifié en laboratoire. En revanche, rien n’exclut qu’il ait pu faire l’objet d’une culture in vitro, l’hypothèse étant admise au rang des possibles dans les publications scientifiques les plus sérieuses (voir par exemple cet article publié dans Nature Medicine). Soit dit en passant, ce genre de recherche peut involontairement aboutir à la sélection de virus mieux à même d’infecter les cellules humaines à travers un mécanisme passif de “sélection par passage”.
Bien que l’hypothèse reste improbable, il n’est donc pas exclu que Covid-19 soit sorti d’un laboratoire de recherche, suite à une erreur humaine ou à un dysfonctionnement matériel. Et si tel était le cas, le patient zéro pourrait aussi bien être chinois que français ou américain.
TENSIONS INTERNATIONALES
A cet égard, c’est évidemment l’institut de virologie de Wuhan — récemment équipé d’un laboratoire P4 grâce au soutien de la France — qui a été l’objet des premiers soupçons. Persévérant dans sa stratégie de stigmatisation de la Chine, Trump vient même de suggérer dans une conférence de presse que son administration explorait actuellement cette piste dont les conspirationnistes sont particulièrement friands.
Cependant, au vu des évènements récents, l’ambassadeur de Chine en France n’a pas forcément tort, n’en déplaise à ses détracteurs : ce serait plutôt du côté des États-Unis qu’il conviendrait de se tourner si l’on considère l’hypothèse d’une sortie de laboratoire. En effet, au mois d’août 2019, une faille de sécurité majeure a conduit à la brusque fermeture de nombreuses activités sensibles à Fort Detrick, haut lieu des recherches de l’armée américaine en matière de biodéfense. Le processus de stérilisation des déchets produits par ce centre de recherche travaillant sur les virus les plus dangereux au monde aurait en effet dysfonctionné à la suite d’une inondation datant de 2018, ce qui implique qu’une fuite de virus ait pu se produire. Signe de la gravité de l’évènement, la reprise partielle n’a eu lieu que le 7 décembre 2019, juste avant le début de la pandémie. Et le centre n’est redevenu pleinement fonctionnel que ce mois-ci. En d’autres termes, la labellisation P4 n’est pas synonyme d’infaillibilité, et le dernier exemple en date nous vient des États-Unis.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où la tension grimpe et en attendant d’éventuelles données supplémentaires, il serait de bon ton que journalistes et politiques adoptent une perspective plus nuancée sur l’origine du virus. Avec presque un million de citoyens ou d’immigrants d’origine chinoise sur son sol, la France ne peut se permettre de sombrer avec Trump dans la stigmatisation de la Chine. Cette posture est d’autant plus condamnable que les analyses phylogénétiques jettent le doute sur les origines réelles de la pandémie.