Louis Derrac

Éducation et culture numérique

  • Philippe Meirieu : « L’école d’après »… avec la pédagogie d’avant ?
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/17042020Article637227058065674645.aspx

    Morceaux choisis

    S’il y a une réalité que les historiens de la pédagogie connaissent bien, c’est, en effet, l’immense écart – le fossé, voire le gouffre – qui sépare les déclarations d’intention, générales et généreuses, des pratiques réellement mises en œuvre.

    Je ne prétends pas que faire cela est totalement et définitivement impossible avec le numérique, dès lors qu’il échappe aux vautours des EdTech et des GAFAM et qu’il s’inscrit délibérément dans une économie contributive, mais je crains que les outils numériques qui dominent aujourd’hui soient majoritairement porteurs d’une logique individuelle et techniciste, et que nous peinions, sans formation adaptée, à les mettre au service de la construction de véritables collectifs.

    Plus encore, je crains que les intérêts financiers en jeu soient si forts qu’ils nous entraînent, malgré nous, vers une conception marchande de l’enseignement où nos élèves, chacun devant leur écran et dans l’indifférence réciproque, consomment du logiciel plutôt que de partager des savoirs

    Cela a été répété sur tous les tons : « l’enseignement à distance accroît les inégalités » puisqu’il renvoie aux conditions matérielles, sociales, culturelles et psychologiques des familles.

    L’erreur a été de laisser croire, au moins au début, que cet « enseignement à distance » pouvait permettre de « faire le programme » de telle manière qu’à la reprise on puisse considérer que tout s’était passé normalement et que l’on pouvait faire « comme si de rien n’était ».

    En effet, quand l’élève n’est pas là et que l’interaction pédagogique est, de fait, particulièrement réduite, on mesure à quel point il est grave de transformer nos « objectifs » en « préalables ». C’est qu’on a trop tendance, dans nos institutions, à oublier que la motivation, le sens de l’effort, l’autonomie, l’exigence à l’égard de soi-même ne peuvent pas être des préalables à l’entrée dans une activité pédagogique, mais sont les objectifs mêmes de cette activité, indissociablement liés à l’acquisition des savoirs. En faire des préalables, c’est réserver l’activité pédagogique à ceux qui sont déjà « éduqués », et « bien éduqués » de préférence.

    [...] il faudra aussi, enfin, se poser la question de la répartition du budget au sein de l’Éducation nationale : n’est-il pas temps de changer de priorité et, plutôt que d’investir dans les filières élitistes – celles qui sélectionnent avant de former –, de donner la priorité aux filières d’excellence – celles qui forment avant de sélectionner.

    En ces moments où tous les regards sont tournés vers l’hôpital, n’est-il pas temps d’entendre ce que les enfants de Barbiana écrivaient, dans la Lettre à une maîtresse d’école en 1967 : « L’école se comporte comme un hôpital qui, pour améliorer ses résultats, soignerait les bien-portants et se débarrasserait des malades » ?

    Quand la société marchande leur faisait miroiter, jusqu’à ces derniers jours, un monde-magasin offert à leurs caprices, notre éducation doit maintenant leur faire découvrir un monde-trésor, un espace de recherche fabuleux offert à leur curiosité. Quand les médias leur montraient essentiellement une réalité qui fascine, sidère ou terrorise et à laquelle il faut se résigner, notre éducation doit les amener à interroger, questionner, interpeller pour constater que rien, jamais, n’est définitivement joué. Quand la société les enjoignait d’appartenir à un clan qui leur procure identité et sécurité, notre éducation doit leur montrer que le vrai bonheur est dans l’ouverture à l’altérité. Quand, partout, on leur susurrait à l’oreille qu’ils ne pouvaient trouver leur plaisir que dans la consommation effrénée de l’épuisable, notre éducation doit démontrer, au quotidien, que le vrai plaisir est dans le partage de l’inépuisable : les œuvres d’art et de culture, les connaissances et les savoirs, la transmission et la création… tout ce qui peut se multiplier à l’infini puisque chacune et chacun, en y accédant, n’en prive personne et que quiconque y accède peut le partager à l’infini veut avec autrui.

    #continuitepedagogique #education

    @philippemeirieu via @cafepedagogique