Pense-bête, 28 avril 2020
▻http://www.archyves.net/html/Blog/?p=7940
Il n’y aura pas d’après viable
si ce monde reste irrespirable…
Contre l’union sacrée mortifère,
reprenons la parole en plein air.
À la fin des années 70, selon l’adage « En mai, fais ce qu’il te spray », le graffitiste bruxellois Roger Avau avait un aphorisme fétiche qu’il bombait au hasard de ses flâneries : Arrêtez le monde, je veux descendre… L’ayant sans doute vu en photo dans un fanzine, je l’avais recopié mot pour mot au-dessus de mon lit, en écoutant l’album Alertez les bébés d’Higelin. La devise allait bientôt faire des petits dans ma tête, en la rapprochant de celle du film L’An O1 : « On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste » . Et nous y voilà, à l’arrêt, sauf que là c’est malgré nous, via un virus qui nous confine à l’absurde, nous télé-travaille de l’intérieur, renforce les ségrégations urbanistiques, les inégalités de sur-vie. De quoi vacciner la population, se réjouissent nos experts en « distanciation sociale » , cette maladie servira d’antidote contre tout esprit de démobilisation générale, de « grève des gestes inutiles » comme disait l’anarchiste Libertad durant le Belle Époque, sinon d’un farniente à temps choisi, décidé d’un commun accord anti-productiviste pour mieux se répartir les tâches entre bonnes volontés coopératives, sans carottes ni bâtons, ni gâchis ni profit.
Pris en étau par le chantage ultra-binaire de nos gouvernants (de drauche & groite confondus) – stopper la pandémie vs relancer l’économie –, nous ne sommes plus confrontés qu’à des doubles injonctions culpabilisantes : ne plus sortir pour s’en sortir du côté des télé-employés et bosser en-deçà du minimum sanitaire quand on est au bas de l’échelle salariale, ou pire encore, pointer aux banques alimentaires bien qu’on soit déjà en déficit immunitaire chronique, etc. Tous les ministres et DRH qui depuis des décennies ont mis à sec les précaires pour renflouer les actionnaires, coupé les fonds de l’hôpital public pour préserver les fric des rentiers, mis en coupe réglée le droit du travail pour mieux fournir aux Big Uber Brothers une main d’œuvre corvéable au doigt et à l’œil, sous prétexte d’auto-entreprenariat, vont bientôt nous déconfiner au compte-goutte, une fois les mômes renvoyés à un simulacre de halte-garderie, et puis viendra le temps de rembourser la dette, et de courber l’échine sous la trique austéritaire. On connaît la musique – la « stratégie du choc » – : après les appels martiaux à la « guerre contre un ennemi invisible » , d’autres métaphores officielles nous contraindront à remplir nos devoirs de citoyens pour « retrousser nos manches » , « bosser plus dur en touchant moins » et arrêter de « vivre au-dessus de nos moyens » , comme on l’a tant répété aux Grecs à bout de souffle déjà il y a une douzaine d’années.
À Montreuil