• Monsieur Deligny, vagabond efficace, Richard Copans, par Sigourney Claude et Michel Demoor
    http://www.debordements.fr/Monsieur-Deligny-vagabond-efficace-

    Insaisissable, déconcertant. Toujours ailleurs que là où on croit le situer. S’employant au demeurant lui-même, assidûment, à brouiller les pistes. Suscitant par dizaines des disciples, voire des imitateurs, lors même qu’il singularise ses entreprises, ses « tentatives », et cherche à les soustraire à toute possibilité de reproduction. Homme de tous les refus, ou presque – et, de la part de certains, objet d’un culte. Acharné à décentrer, à détourner, à déconstruire – et par là même souvent conduit, comme malgré lui, à recentrer, à recadrer, à asseoir de nouvelles fondations.

    Telle peut être une des approches, pleine de paradoxes et de contradictions, du personnage Deligny. Nul n’a travaillé autant que lui à l’art de penser à côté – à côté de tous les systèmes, de toutes les théories, de toutes les doctrines. Marginal, il le fut au Parti communiste, avec lequel il fit un bout de chemin ; il le fut dans le monde de l’enseignement et de l’éducation, dans celui de la psychiatrie et, bien sûr, aussi dans celui de la philosophie, ou de l’anthropologie. Car à se poster toujours à côté, on ne sait plus très bien où le situer, dans quel monde, et ce sont les cloisonnements conventionnels entre ces mondes qu’il brouille à plaisir, pour notre plus grand inconfort – et notre plus grand intérêt.

    Dr Roger Gentis [ancien psychiatre du secteur public], « DELIGNY Fernand (1913-1996) », Encyclopædia Universalis
    https://www.universalis.fr/encyclopedie/fernand-deligny

    Accessible en VOD depuis fin mars, Monsieur Deligny, vagabond efficace tente de dresser un portrait de Fernand Deligny, instituteur, écrivain et penseur critique des institutions médico-éducatives et du langage. Fernand Deligny a fondé La Grande Cordée — « réseau d’activités d’observation et de cure caractérielle libres [1] » — en 1948, avec quelques membres du Parti communiste. Accueilli à la clinique de La Borde vers 1965, il rencontre Jean-Marie Jonquet (qui deviendra Janmari), un enfant autiste d’une dizaine d’années. Au cours de l’été 68, Janmari, Fernand Deligny, Gisèle Durant-Ruiz, Guy et Marie-Rose Aubert et Jacques Lin s’installent dans une ferme du hameau de Graniers près de Monoblet, dans le Gard. Dans ce « lieu de vie », sans affiliation institutionnelle et sans subvention, des enfants jugés difficiles voire irrécupérables seront accompagnés par des non-spécialistes, des « présences proches ».

    Le choix de ce sujet par l’auteur réalisateur et producteur Richard Copans, fondateur des Films d’Ici , est motivé par un épisode de sa propre histoire : opérateur de prises de vue depuis sa formation à l’IDHEC, membre du collectif Cinélutte [2], Copans s’est rendu à Monoblet au milieu des années 1970 pour former Renaud Victor au maniement de l’Éclair16mm Coutant [3]. Victor et Deligny envisageaient alors le tournage d’un film au sein de la communauté de Monoblet, qui deviendra Ce Gamin, là (1975). Accompagné d’un commentaire de l’auteur, Monsieur Deligny a supposé un travail de recherche et d’écriture utile. Ce film met aussi l’accent sur les relations entre Deligny et le cinéma, essentiellement à travers sa correspondance avec François Truffaut.

    Monsieur Deligny, vagabond efficace sort en 2020, dans un paysage dont il faut dire quelques mots. Depuis l’édition du coffret DVD Le cinéma de Fernand Deligny chez Montparnasse en 2007, l’intérêt pour Deligny n’a cessé de croître. Les relevés cartographiques des trajectoires — les lignes d’erres — des enfants dont il s’occupait à Monoblet, ont été exposés au Palais de Tokyo en 2012 ; ses œuvres écrites, et dernièrement ces cartes, ont été publiées chez l’Arachnéen. Les éditions commune viennent aussi de publier un livre-DVD à propos de Renaud Victor, qui permet de lire un entretien entre Bruno Muel et Richard Copans mais aussi de revoir Fernand Deligny, à propos d’un film à faire (1987) ainsi que De jour comme de nuit , réalisé à la prison des Baumettes en 1991. En une décennie, une soixantaine de thèses universitaires ont été commencées au sujet de Deligny, toutes disciplines confondues. Parallèlement à cette actualité muséale, éditoriale et universitaire, il y a aussi celle de l’action sociale et médico-sociale autour des handicaps psychiques et mentaux. Dans ce secteur, le lieu de vie créé par Fernand Deligny à Monoblet reste — comme l’école expérimentale de Maud Mannoni à Bonneuil, ou encore l’hôpital de La Borde fondé par Jean Oury — une référence, et demeure source de pensée. Sur ce versant de l’actualité, des existences sont engagées, les institutions traditionnelles sont rarement une solution. Au regard de ce contexte relativement chargé, il se pourrait déjà qu’on attende quelque chose d’un film sur Deligny. Pour peu que ce film soit promu en tant que « film avec Fernand Deligny » — la presse et les médias s’empressant d’ébruiter cette formule de Richard Copans —, on en attendra beaucoup.

    #film #Fernand_Deligny #Richard_Copans