• Deep Virology - Le Moine Bleu
    http://lemoinebleu.blogspot.com/2020/04/deep-virology.html
    https://youtu.be/cgKspcEbmuA


    L’agent Smith, Didier Lallement en mode puissance destituante.

    Il n’y a pas de sex-appeal chez les bactéries.
    (François Jacob)

    1
    Tupanvirus appartient à la famille des virus géants. Sa structure est assez voisine de celle de Mimivirus , découvert en 2003 par le fameux Dr Chloroquine : le professeur Didier Raoult, de Marseille. Avant cette date, les bactéries, reconnues les plus petits organismes vivants, étaient réputées de taille nécessairement plus importante que les virus, ce qui se révélait faux. Ce n’est évidemment pas l’unique découverte ayant incité les spécialistes de virologie à remettre en question leurs certitudes quant à leur bel objet d’étude. Tupanvirus , de découverte encore plus récente (2018) et prospérant dans les zones aquatiques les plus hostiles de notre planète (lacs de soude, sédiments abyssaux), présente ainsi une particularité susceptible de retenir l’attention : celle d’accuser un génome extrêmement fourni, auquel il ne manquerait plus que des ribosomes pour pouvoir, comme le moindre protozoaire, synthétiser à volonté une multitude de protéines. Cerise sur le gâteau, Tupanvirus arbore une queue extrêmement impressionnante, mesurant presque trois fois sa taille (soit 2,3 micromètres, tout de même). Or, il en va des virus à longue queue comme des virus à tête couronnée (les désormais célèbres « coronavirus ») : comment s’étonner de la fascination qu’ils exercent, ces temps-ci, sur toutes sortes d’imaginations fiévreuses, débridées et fertiles ?

                              2 
    Soumises durant d’interminables jours et nuits à un confinement strict (éprouvant il est vrai horriblement les nerfs), certaines de ces imaginations en vinrent très récemment à la production publique de phantasmes virologistes à prétention subversive, campant volontiers sous forme d’un héros, sûr de lui et dominateur, l’amas de grosses molécules spectaculaires nommé SARS-CoV-2 pourrissant actuellement l’existence de milliards d’êtres humains confinés. Nous faisons en particulier référence au texte, désormais célèbre, publié le 21 mars dernier sur le site blanquiste d’avant-garde Lundi-Matin , et intitulé Le monologue du virus . Ayant eu vent de cette belle tentative, nous aimerions contribuer à l’essai en cours, en rebondissant sur lui, comme disent les journalistes, tels des atomes épicuriens innocents, sans malice ni mesquinerie partisane aucune, car ce ne sont pas nos méthodes, ce ne l’a jamais été. Précision liminaire utile, donc : notre but actuel ne saurait être en aucun cas d’insister en détail ni sur l’autoritarisme clérical délirant, ni sur le sadisme inconscient de lui-même, ni sur l’aristocratisme terrible à force des plus méchantes trivialités, constitutifs – entre autres pathologies socialement induites – de ce morceau de bravoure. Ce qui nous intéressera ici plus précisément, c’est le pathos biologique constituant pour ainsi dire le substrat de sa très profonde détestation de l’humanité (l’anti-humanisme, rappelons-le, n’étant nullement un terme injurieux mais le nom d’une sous-spécialisation disciplinaire de l’Université Française, régnant sans partage sur le champ philosophique depuis maintenant près de cinquante ans). 


    Disons-le tout net. Pour nous, l’interrogation radicale sur la limite extérieure du vivant et sur ses différenciations internes, constituera toujours une urgence intellectuelle a priori. Le corollaire problématique en est la conscience accrue d’une homogénéité de toute la matière vivante, homogénéité certes impénétrable car paradoxalement indexée sur les éléments physiques inertes de celle-ci : ses atomes. Tous les vivants sont ainsi identiquement vivants en tant que semblablement émergents d’une même matière « morte ». Tous les vivants, en leur stupéfiante différenciation de formes, dimensions et complexité, n’en sont pas moins à nos yeux d’égale valeur, d’égale étrangeté, d’égale curiosité à l’aune de cette même genèse élémentaire incompréhensible. Or, le Monologue du virus méprise d’entrée, avec une rare suffisance réductionniste, la pertinence de toute distinction interne au vivant, effaçant (tant qu’à faire) d’un même mouvement glorieux la limite du vivant et de l’inanimé, et assénant plutôt aux hommes une litanie de lignages hétérogènes, mais comiquement hiérarchisés :
    « Nous sommes vos ancêtres [c’est le virus qui parle, s’adressant aux hommes qu’il exhorte à se soumettre à sa tyrannie bienveillante] au même titre que les pierres et les algues, et bien plus que les singes ». Certes, un beau jour, même les pierres crieront, mais tout de même. L’absurdité d’un emploi abstrait de termes aussi vagues qu’ ancêtre , pierre ou singes apparaît pour sa part bien trop immédiatement criante. On aimerait tant obtenir quelques précisions là-dessus, de la bouche de ce virus hautain. Car au compte d’une telle imprécision fondatrice, quelle valeur autre que rhétorique accorder à cette expression finale : « et bien plus que les singes » ?

    #Monologue_du_virus #Lundi_matin #vivant #matière_morte