Ce texte s’attaque à cette démarche intellectuelle de réduction nommée ici dénégation. [...] cette dénégation n’est pas du déni ou du tabou, puisqu’elle laisse au contraire une grande place à l’exhibition des raisons pour lesquelles il ne faut pas penser avec une partie de la situation réelle, qui devient même centrale, de ce fait, ou obsessionnelle dans le discours et la théorie.
Face à une réalité effrayante, la fuite est parfois possible, mais quand c’est l’Histoire et l’humanité qui se font ogres, quand ce qui se passe dépasse notre capacité de compréhension et d’acceptation, la tentation semble exister de transformer l’ogre en souris, et ainsi de sortir triomphant d’une confrontation dont on pense avoir pu choisir les termes, à l’intérieur des limites contraintes de notre, parfois susceptible, entendement. Et chaque événement démesuré voit naître, très tôt car il ne faudrait pas laisser s’installer une représentation de ce qui se passe dans sa taille originelle, ses détracteurs, ou ses réducteurs, comme si réduire la représentation de ce qui se passe pour le mettre à sa portée donnait le moyen de triompher de ce qui terrifierait, si toutefois on le regardait dans ses dimensions propres. Comme si se battre contre les faits était une manière de se battre contre le monde qui les produit.
Ces « réducteurs d’Histoire » trouvent enfin ainsi un adversaire à leur petite taille, et il peuvent alors, littéralement, le réduire à leur merci, le tenir en respect sur la table de leur cuisine et rêvasser enfin, eux aussi, à la dévoration. Mais se rêve-t-on dévoreur de planète comme ça, un matin, en se réveillant ? Aussi petit et insignifiant qu’on soit face à un fait objectivement écrasant, comme le chat du conte face à l’ogre, on peut donc le rapetisser à une taille accommodable, le tenir captif et apprivoisé dans sa main en le regardant dans les yeux, et même l’écraser, et passer sans trop de peine à autre chose.